Da Weasel - Interview

/ Interview - écrit par Filipe, le 10/11/2005

Tags : jay portugais hip weasel portugal quaresma virgul

Interview de Da Weasel

Jeudi 10 novembre 2005, 15h. Hôtel Ambassador, Paris. Je reçois les portugais du groupe Da Weasel. Tous ont répondu présent à mon invitation. Quaresma, Virgul, DJ Glue et Guilherme me serrent la main les premiers, puis s'assoient à mes côtés. Pac et Jay Jay sont un peu à la traîne. Daniela Pinto (EMI Portugal) et le producteur du groupe assistent également à cet entretien. Autant dire qu'il y a du beau monde autour de la table. Et ce n'est pas tout. Je passe avant un représentant de l'ambassade du Portugal, venu les saluer. Un journaliste de la SIC (l'une des plus grandes chaînes télévisées portugaises) me demande la permission de filmer une partie de l'interview. J'accepte de bon coeur. Plus on est de fous, plus on rit, comme dirait l'autre. Dommage que je ne sache pas traduire cette expression ! Je demande à ce même journaliste s'ils pourront faire défiler un message de ma part au bas de l'écran pour que mes cousins me reconnaissent. Le groupe éclate de rire (alors que les boissons ne sont pas encore arrivées)... Autant dire que cette interview est placée sous le signe de la bonne humeur...

Douze années de carrière au top...

Pac, Virgul, Jay Jay, Quaresma, DJ Glue et Guilherme
Pac, Virgul, Jay Jay, Quaresma, DJ Glue et Guilherme
Krinein : Bonjour à tous et merci de vous être donnés la peine d'être tous présents pour cette interview. Nous évoquerons ensemble la sortie en France de votre dernier album en date (Re-Definições, édité en 2004 par EMI Portugal) et votre seul concert français qui se tiendra demain à l'Olympia. Mais avant cela, j'aimerais que nous revenions ensemble sur votre longue carrière musicale. Le projet "Da Weasel" naît en 1993. A l'époque, il n'y a que vous deux, Jay Jay et Pac, à faire partie de l'aventure. Armando Teixeira et Yen Sung vous accompagnent alors. Vous avez fait le choix de la langue anglaise et sortez un premier EP, More Than 30 Motherf***s. God Bless Johnny devient le premier hymne du groupe. Quelles étaient vos intentions à l'époque ?
Jay Jay : (silence) On voulait faire de la musique. On voulait s'amuser, occuper notre temps. On était tous étudiants. On voulait avoir un projet. On écoutait tout un tas de choses qui nous venaient de l'étranger. On a choisi d'écrire en anglais parce que ça nous a semblé plus facile dès le départ. On n'avait pas vraiment de références en portugais. Voilà, c'est comme ça que tout a commencé.

K : Vous enregistrez un premier album, Dou-lhe com a Alma, qui est l'un des tous premiers disques de hip hop à circuler au Portugal. Vous optez définitivement pour des titres en portugais. Qu'est ce qui a motivé ce choix ? C'était une manière pour vous d'affirmer ce statut de "pionniers" du hip hop ?
Pac : On ne peut pas être considéré comme le tout premier groupe de hip hop. Ce qui est vrai, c'est qu'on a été l'un des premiers à enregistrer un disque. En ce qui concerne le passage de l'anglais au portugais, je pense que cela résulte plus de la volonté de certaines personnes autour du groupe que de la nôtre. Pour moi, il était plus simple d'écrire en anglais, puisque cela nous permettait d'imiter nos artistes préférés. Mais on s'est progressivement rendu compte que cela avait beaucoup plus de sens d'imaginer des chansons en portugais. Les gens les comprenaient mieux, avaient des sensations différentes. La langue nous permettait de créer une certaine empathie avec le public, ce qui était impossible à faire en anglais. Et puis à l'époque, il n'y avait pratiquement aucun artiste de hip hop qui s'était essayé au portugais jusque là. Il a fallu inventer tout un langage relatif au hip hop au Portugal.

K : Pedro Quaresma et Guilherme Silva vous rejoignent aux alentours de 1997. Vous sortez un second album, 3.ª Capítulo. Todagente en est le titre phare. Yen Sung est ensuite remplacé par Virgul. Dans vos interviews, vous avez l'habitude de dire qu'il est un peu réducteur de ne parler que de hip hop pour décrire votre musique. Pour éviter toute mésentente, pourriez-vous définir votre propre style avec vos propres mots ?
Quaresma : Oui. Pour moi, il est impossible de définir le style musical de Da Weasel en un seul mot. On aborde tellement de genres dans nos chansons. C'est plus une nécessité pour les journalistes de vouloir à tout prix nous cataloguer. Mais chacun de nous apporte tellement de choses au groupe, tellement d'influences. C'est ce mélange des genres qui aboutit à la musique de Da Weasel. C'est un son qui nous est propre. Sur nos disques, tu trouveras du rock, du funk, du jazz. Mais si tu te rends à la FNAC ou un autre magasin du même style, tu trouveras nos disques rangés au rayon "hip hop" ou au rayon "rap". Evidemment, pour ces magasins, il faut bien qu'ils sachent où entreposer nos disques...
Virgul : Ici en France, on se retrouve au rayon "musique portugaise", tout simplement (rires).
Quaresma : Oui, et puis tu peux aussi nous trouver à la lettre "D" ou "W"... c'est assez amusant de voir comment ils s'en sortent à chaque fois.

K : En 1999 est édité l'album Iniciação a uma vida banal - o Manual, qui est à nouveau couronné de succès. En novembre, vous vous retrouvez en première partie du concert des Red Hot Chili Peppers au Pavillon Atlantique de Lisbonne. Est-ce que le fait de figurer parmi les pionniers du hip hop portugais vous donne une responsabilité ou une pression supplémentaire vis à vis du public ?
Virgul : Non non, on essaie de faire de la musique sans trop penser à ce genre de choses.
Guilherme : On n'a pas de responsabilité directe. Quand on travaille ensemble, on ne se s'impose pas une certaine façon de faire. On ne se fixe pas d'objectifs. On ne regarde pas les chiffres ou les pourcentages. Bien sûr, il y a toujours cette anxiété de bien faire les choses. On est un groupe connu, qui vend beaucoup de disques. C'est assez difficile d'exprimer plus en détail les sentiments qui nous habitent au moment d'enregistrer d'un disque ou de monter sur scène.

K : Et ce concert des Red Hot, c'est votre meilleur souvenir de scène ?
Quaresma : Pour moi, c'était vraiment la réalisation d'un rêve. Pac et moi, on est des fans de la première heure.
Pac : D'ailleurs, sur notre premier disque, il y avait déjà des samples des Red Hot !
Quaresma : On était comme des enfants devant eux. Le fait de pouvoir monter sur la même scène qu'eux... et même plus que ça, le fait de pouvoir les approcher et leur parler...
Virgul : Et partager les mêmes toilettes qu'eux... (rires) J'avais tous leurs disques à la maison. Alors, j'ai pu leur demander tout un tas d'autographes...

K : Et hormis cette expérience, est-ce qu'il y a quelque chose qui vous a marqué lors de vos derniers concerts ?
Guilherme : Bah l'été dernier au festival Sudoeste, il y a bien Virgul qui s'est cassé une jambe...
Pac : Oui bon, ce n'est pas un souvenir très drôle... (rires, sauf Virgul)
Quaresma : D'ailleurs, personne n'en rit (rires).

K : Fin 2000, vous publiez un nouvel album : Podes fugir mas não te podes esconder. Armando Teixeira vous quitte. DJ Glue vous rejoint. Vous vous retrouvez dans votre configuration actuelle. Il y a donc eu pas mal de changements pour en arriver là. Qu'est ce que ces changements ont apporté au groupe ?
Jay Jay : C'est par ces changements que le groupe a pu évoluer. Si on est arrivé là, c'est bien grâce à ces mutations au sein du groupe, grâce à ces nombreuses arrivées. A chaque fois, les nouveaux arrivants apportaient un petit quelque chose de différent. Les gens s'en sont rendus compte sur nos différents albums. Ils ont accueilli tous ces changements de façon positive. Ce qui veut dire que pour notre prochain album, il faudra qu'on invite quelqu'un d'autre... (rires) Et qu'il y en ait qui partent... (rires)

Re-Definições : l'album de tous les records...

K : Vous avez surtout établi votre notoriété grâce à vos tournées. Les stations de radio ne vous diffusent pas vraiment. Et pourtant, Re-Definições est le disque qui s'est le plus vendu au Portugal en 2004. C'est une situation qui jamais ne se produirait en France ! Ici, les disques qui se vendent le plus sont ceux qui bénéficient d'une forte promotion médiatique. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Jay Jay :
Ecoute, c'est d'autant plus gratifiant pour nous. C'est forcément positif. Notre succès, on ne peut vraiment l'apprécier qu'en concert. On ne se préoccupe pas trop de la vente de nos disques, tant qu'elles nous permettent de continuer à jouer de la musique, à multiplier les concerts au Portugal. Et si en plus, elles nous permettent de venir jouer ici même, à Paris ! Ce sont les concerts qui nous mènent auprès des gens, qui nous permettent de nous faire connaître auprès d'un autre public.
Pac : Il faut voir qu'au fil des années, on a acquis un statut un peu à part. Cette année aussi, le disque qui s'est le plus vendu au Portugal est issu d'un programme de télé réalité ; un groupe de musique, qui est en fait un produit qui n'existe pas vraiment. C'est une tendance assez générale, malheureusement.
Quaresma : Depuis nos débuts, on n'a jamais vraiment cessé de croître. On a su convaincre les gens. On agrandi en même temps que notre public. On a connu une évolution assez naturelle. Ce n'est pas du jour au lendemain qu'on s'est mis à vendre beaucoup de disques. On en a toujours vendu un peu plus, album après album. Jusqu'à ce qu'on se retrouve ici. Jusqu'à demain... (soupirs)

K : Nous avons récemment rencontré Cristina Branco. Nous avons également couvert le concert de Wraygunn au Nouveau Casino de Paris mardi dernier. Ce sont des groupes portugais qui ont surtout réussi à l'étranger, et un peu moins au Portugal. Je ne peux pas m'empêcher de croire que vous auriez pu vous aussi avoir ce genre de carrière, disons "internationale"...
Quaresma : Souvent, ce sont les groupes qui chantent en anglais qui réussissent à percer à l'étranger. C'est une barrière en moins. Dans le cas de Cristina Branco, qui chante le fado, elle entre facilement dans la catégorie "world music". Pour nous qui chantons en portugais et qui sommes totalement ancrés dans le contexte portugais, c'est beaucoup plus difficile. Il y a des groupes qui parviennent très bien à exporter notre culture dans d'autres pays. Mais nous, on ne peut pas avoir cette fonction là. On commence à peine à franchir les frontières de notre pays et c'est évidemment une grande satisfaction pour nous tous.

K : Qu'est ce qui peut expliquer le succès de ce disque en particulier ? Qu'est ce qui a changé par rapport à vos anciennes productions ?
Jay Jay : Je crois que c'est avant tout grâce à une chanson (ndlr : Re-Tratamento, le single de lancement). Le public l'a beaucoup apprécié et s'est ensuite tourné vers le reste de l'album. C'est un album complet, bien structuré et qui se suffit à lui-même. Si le public n'avait pas apprécié ce premier titre, l'album n'aurait pas connu un tel succès. Ensuite, il y a eu deux autres singles, qui ont assez bien marché eux aussi.

K : Comment est-ce que cet album a pu être édité en France, un an après sa sortie au Portugal ?
Jay Jay : Notre producteur a fait le forcing auprès d'EMI France. De leur côté, ils ont du se baser sur les chiffres et se dire que le risque était, disons, "calculé". Que le disque pouvait très bien fonctionner en France. Alors, ils ont pris le pari. Tout simplement. On verra bien ce qu'il en est...
Quaresma : Ce qu'on espère, c'est que les portugais de France amènent des amis français à notre concert, ou qu'ils leur fassent écouter notre album. On est très curieux de savoir ce qui va se passer demain.
Jay Jay : On est un peu dans l'expectative. Il y aura certainement beaucoup de jeunes demain. Des jeunes d'origine portugaise, d'une troisième ou d'une quatrième génération, qui ne sont plus vraiment portugais ; ou qui sont un peu plus français que portugais, tout du moins. Peut-être qu'ils ne parlent et ne comprennent plus le portugais, d'ailleurs. Mais les racines sont là. Ce qu'on sait, c'est que le portugais est la troisième langue la plus vendue en France. Quand je dis cela, je parle aussi du portugais brésilien ou africain. Il y aura peut-être des gens originaires du Cap-Vert ou d'Angola, qui sait ?
Pac : Et puis, il y a aussi le fait que la communauté portugaise de France est assez bien intégrée. Donc j'imagine que si on arrive à les convaincre, peut-être que cela amènera des Français à vouloir découvrir notre musique. La langue peut faire office de barrière, venir compliquer un peu les choses. Mais on ne peut jamais prévoir ce genre de choses.

K : Entre Almada et Paris, le voyage est assez long. C'est un voyage de plus de dix ans. Qu'est ce que cela représente pour vous de jouer dans une salle comme celle de l'Olympia ? C'est une consécration ?
Jay Jay : En ce moment, la vie nous réserve beaucoup de surprises. On nus dit : "Vous êtes invités à jouer à l'Olympia..." ouahhh "Vous êtes nommés aux MTV Europe Music Awards..." ouahhh
Quaresma : "Vous allez jouer en première partie des Red Hot..." ouahhh
Jay Jay : Les choses nous tombent dessus. Elles sont de plus en plus grosses ! Nous, on ne s'est jamais fixé d'objectifs particuliers. De cette manière, on n'est jamais vraiment déçus. Mais là, l'Olympia... Amália Rodrigues...
Quaresma : Tony Carreira... (rires) (ndlr : Tony Carreira est une vedette de variété)
Jay Jay : Tout à l'heure on entendait à la radio : "Aujourd'hui, Natalie Imbruglia ; Ensuite, Da Weasel ; Ensuite, Sinead O'Connor..." C'est vraiment un orgueil. Tout le monde en parle au Portugal.

Et la musique portugaise dans tout ça...

K : Sur l'album XX Anos, XX Bandas, vous avez rendu hommage aux Xutos & Pontapés avec beaucoup d'autres artistes. Que pensez-vous de la musique portugaise d'aujourd'hui, tant au niveau de sa qualité que de sa variété ?
Pac : Ecoute, je trouve qu'il y a beaucoup de choses bien en ce moment. Il y a beaucoup de groupes de qualité. Je ne vais pas commencer à en citer, sinon j'en oublierais. Il y en a pour tous les goûts : pop, rock, dance... C'est vraiment dommage qu'elle ne s'exporte pas tant que ça. Pourtant, on est dans une assez bonne phase, je crois. Les disques sont faits avec attention. Ils sont enregistrés dans de bonnes conditions.
DJ Glue : On écoute un peu de tout. Pas seulement du hip hop. C'est un atout. Du rock, du hardcore. Et ça se ressent sur nos disques.

K : Je représente un webzine. Vous ne pourrez pas échapper au débat sur le téléchargement. Quelle est votre opinion ?
Jay Jay : C'est le genre de question à poser à nos éditeurs, ça ! Pour nous, il n'y pas vraiment de différence si l'on vend 80 000 ou 20 000 disques, en fait.
Pac : Au Portugal, on n'est vraiment pas dans le contexte des Etats-Unis ou d'autres pays.
Jay Jay : Nous, on se contente de faire nos tournées, nos concerts... Il faut savoir que 90% du disque appartient aux producteurs, donc le problème du téléchargement illégal se pose avant tout pour eux. Si on vendait trois ou quatre millions d'albums, là il y aurait vraiment un manque à gagner pour nous...
Quaresma : Les gens qui téléchargent n'ont aucun respect pour les artistes et les gens qui travaillent autour.
Pac : Il y a maintenant une espèce de culture du "single". Il n'y a qu'une chanson ou deux qui intéressent les jeunes.
Quaresma : Beaucoup n'ont plus envie d'écouter un album en entier.
Pac : Et puis, il y a beaucoup de nouveautés qui apparaissent sur le marché. Et les choses vont de plus en plus vite. On passe d'un artiste à l'autre.
Quaresma : Il y a plusieurs degrés dans la piraterie. Il faut voir qu'en général, les jeunes de 12-13 ans qui téléchargent illégalement n'ont pas assez d'argent pour se payer des disques.
Jay Jay : Je dirais que 90% des gens qui téléchargent n'ont peut-être pas assez d'argent.
Pac : Les disques sont hors de prix au Portugal. Ici, ils coûtent 15 euros et le salaire minimum est fixé à 900 euros. Au Portugal, le salaire minimum tourne aux alentours des 500 euros et le prix moyen d'un CD est plus élevé qu'ici. Tu vois le problème ?

K : Oui, complètement. Pour finir, à quoi allez-vous occuper votre temps ici à Paris ?
Quaresma : Demain, on travaille toute la journée. On ne va pas avoir beaucoup de temps pour visiter la ville. Peut-être une petite promenade aujourd'hui en fin de journée.
Virgul : Voir la Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe... Rien de très original, en fait ! (rires) Dans le groupe, on est à peu près tous venus au moins une fois ici.

K : Merci pour ces réponses et bonne chance pour demain soir.
Pac : Merci à toi.


Merci aux journalistes de la SIC.
Merci à Daniela Pinto, de chez EMI Portugal.
Merci à Pac, Jay Jay, Quaresma, Virgul, DJ Glue et Guilherme.