The Strokes : sous un nouvel angle
Musique / Critique - écrit par athanagor, le 03/05/2011 (Tags : album strokes angles disque angle groupe francais
On pourra lire un peu partout que cet album est décevant, voire pourri, que ça craint que Casablancas ait enregistré les paroles dans son coin, et que six ans pour ça, c’est nul. Pourtant, chez Krinein, on a plutôt bien aimé. Voici pourquoi.
Après First impressions of earth, qui arborait déjà un son plus produit et, de fait, un peu plus lisse, Angles nous accueille dès ses premières mesures avec une sonorité tout aussi veloutée, voire encore plus souple. À la faveur d’un son sec et rêche, chacun avait prêté à ce groupe new-yorkais des racines anglaises dans ses premières réalisations, et c’est aujourd’hui avec ce nouvel album et la confirmation d’un nouvel angle (!) d’attaque sonore qu’on peut se faire une meilleure idée de ce qui en fait un groupe dont on se souvient.
Fini, donc, de sonner comme une bande d’adolescents complexés, qui crient leur révolte dans le garage d’un de leurs potes le samedi après-midi, parce qu’ils n’ont rien de mieux à faire. On passe définitivement à une identité plus propre, et pourtant on ne lâche rien de l’excellente inspiration qui a fait de ce groupe un des incontournables du rock de la première décennie de ce siècle. Machu Pichu en ouverture de l’album est un superbe exemple de la capacité du groupe à forger des riffs entraînants et imparables, servi par la voix borderline et un rien guillerette de Julian Casablancas. Appuyé sur un mixage distingué, qui le parsème d’interventions subtiles d’arpèges, cet excellent titre gagne à chaque écoute une profondeur supplémentaire. Puis les morceaux vont s’enchaîner avec une évidence calculée qui empêchera dans les premiers temps de se rendre vraiment compte de ce qui se passe. On est entraîné malgré nous dans une écoute fleuve et naturelle où vont se suivre un sautillant Under cover of darkness, où pointent également des interventions cachées de guitare. Suivront Two kinds of happiness avec une surprenante batterie électrique sur le couplet, rappelant une pop des années 80, que Games, pourvu d’un pont incroyablement touchant, viendra plus tard confirmer, mais dans une tendance plus proche de Rick Hastley. You’re so right, se dégagera de cette impression pour lorgner plus du côté de The Hives débordant sur Radiohead. Mais l’inspiration ira parfois plus loin avec un Gratisfaction aux accents rappelant Queen. Puis, toujours dans une veine fortement marquée par la survenance d’un son électro, on retiendra avec admiration le prérefrain de Taken for a fool et la superbe mélancolie de Call me back. Bref, toujours en éveil et ramené çà et là dans nos souvenirs, on enchaîne l’album sans s’en rendre compte, parfois sortis de notre douce torpeur par des interventions mélodiques d’une incroyable portée, qui ponctuent admirablement un album où aucune chanson ne semble démériter.
Bercés par ce charme des premières fois, on ne se rendra compte que bien plus tard de la subtilité qui le construit. D’une part, malgré l’évolution du son, le virage électro qui ne dénature en rien leur style et les montages sonores, l’esprit de The Strokes reste le même, riche d’un certain dénuement et d’une réelle simplicité, franche et belle d’écriture. Utilisant un paning excessif pour conserver un aspect amateur, le groupe parvient à faire une musique simple et inspirée, avec ces petits riens qui font que n’importe qui n’aurait pas pu faire de même. D’autre part, The Strokes, sur 10 morceaux, n’invoquent jamais deux fois la même influence. Puisant leurs inspirations dans des coins parfois oubliés, ils se gardent bien de les mélanger à autre chose qu’à leur propre identité, offrant à tout coup du nouveau, et à chaque fois leur musique, impossible à confondre.
Ainsi, une fois encore, et malgré les hideuses couleurs qui l’habillent, il faudra reconnaître dans la pochette une traduction visuelle de l’esprit qui domine cet album. Avec cet escalier de Penrose qui, quelle que soit la direction, arrive toujours au même endroit, on reconnaît une allégorie de ce que le groupe propose en musique : quel que soit le style vers lequel on s’oriente, on se retrouve toujours avec The Strokes.