9/10Sole - Sole and The Skyrider Band

/ Critique - écrit par Dat', le 30/10/2007
Notre verdict : 9/10 - Sole. Assassinating Others. (Fiche technique)

Tags : sole skyrider band album bandcamp world cruel

Sole troque sa MPC cradingue pour des compositions foisonnantes, proche du Post-Rock, tout en gardant sa verve assassine et pleine de rage.

Sole, c'est tout d'abord le boss d'un label incontournable dans le hiphop indépendant américain : Anticon. Poussant le genre dans ses limites à coup de boucles sombres et de flows nasillards, ce label est allé presque jusqu'à créer un mouvement. Mais comme bien souvent, ce son, sans se scléroser, commence à tourner en rond, à se mordre la queue. Là où l'on étonnait, on ne fait plus que rassurer. Là où l'on défrichait, on ne fait plus que conforter. Malgré des side-projects courageux ou franchement drogués (13+god, Clouddead), Anticon commence à patiner. A ne plus savoir quoi sortir pour se (re)démarquer.

Sole, lui, n'est pas du genre à se laisser abattre. Etant sûrement l'un des plus honnêtes cracheurs sur micro de ses dernières années, il sent que la formule bat de l'aile. Ironie du sort ou coup de génie, trois énormes sorties débarquent en l'espace de deux mois. Trois joyaux qu'il ne faut pas louper. Le Telephone Jim Jesus, le dernier Odd Nosdam, et celui du boss lui-même.
Il faut le dire, le précédent de Sole, Live From Rome, était excellent. Mais harassant sur le long terme. Overdose de textures crades et de MPC torturées. Seuls les prods de Telephone Jim Jesus et de notre petit français Tepr donnaient de l'air à ce maelstrom sonore. Le mec lui-même n'arrange pas le tout, déclamant avec force des couplets acides parfois plus longs qu'un album entier de Kanye West.

Alors on attend ce nouvel opus avec excitation et appréhension. And the Skyrider Band ? Oui car Sole a senti le besoin d'entourer ses machines par un groupe. Un vrai. Avec des instruments acoustiques. C'est tout simple. Et pourtant un grand pas dans la sphère hip hop d'Anticon.

Fini les textures crades et les beats déchaînés ? Non. Sauf que Sole va poser tout cela dans un écrin « Post-rock ». Pour ce virage flirtant avec le génie, Il mérite une montagne d'offrande.

 

Level Fly Wires

Rassurons tout le monde, les textes sont  confinés dans un livret, qui peine parfois à contenir ses derniers. Comme toujours avec Sole, certains sont tellement conséquents qu'il n'y a aucun retour de ligne, et les textes prennent parfois tout l'espace de la page, en hauteur comme en largeur. Bref, on a toujours l'impression de se retrouver devant une reproduction du Code Civil en plus petit. Mais ceux qui auront le courage de s'y plonger ne regretteront pas le voyage, tant les lyrics sont des petits bijoux de tranches de vie, des histoires à eux seuls. Des pamphlets emplis de rages et de dégoût contre tout ce qui entoure Tim « Sole » Holland.


Sole
Sole
Mais la nouvelle recette musicale, elle, marche t'elle ? A Sad Day for Investors l'affirme d'emblée. Guitare électrique enlevée, samples vieillots d'opéras, la batterie s'emballe pour vous décaper les tympans, alors que Sole déclame ses textes comme un enragé. Pour ceux qui ne connaissent point le monsieur, il faut savoir que ce dernier balance ses paroles comme le ferait un Télé-évangeliste. Mettant toute sa force dans chaque ligne du récit, la veine protubérante sur le front à cause d'un énervement latent. Et à part ce texte scandé avec rage, le reste est frontal. Ne retombe jamais. Monte, monte, jusqu'à l'explosion finale, presque bruitiste, vrillant de toute part avec ce mur de guitares stridentes et cette batterie à l'agonie. On se croirait presque sur un disque des Pixies avec un Frank Black qui aurait voulu se la jouer West Coast. Il faut le préciser. Sole, s'il a la vitesse, n'a jamais eu la technique d'un Busdriver ou d'un Dose One. Certains crieront au scandale. Pourtant le charisme du mec fera taire les grincheux. Sole semble dérouler ses textes à l'envie, sans se soucier de la rythmique. Certes, on le conçoit sur de rares endroits. Mais la rage et l'implication de ce dernier au micro balayeront ces menus problèmes.

Ghost. Assasinating Other Ghosts ralentira le tempo, sans pour autant mollir. On troque les guitares contre un orgue et des violons perlant sur un Tim Holland qui décide de toucher le cœur avant de choquer les oreilles. La rythmique est étouffée, rampante, laissant la part belle aux variations des claviers. Le texte est sombre, laché en détachant bien les mots, comme pour nous faciliter la compréhension d'un constat froid et énervé. Sole regarde du ciel et nous rend grâce de ses observations. L'envolée de cordes superbe fini d'achever le tout. « Sleeping in a tin can I woke up late / They say I'm a bad pilgrim but all I have is a faith running trough my hands like ants / Like my last advance, like a non master of circumstance / This tale, be it dismal, has no heroes but ghosts, assassinating other ghosts / Been a year since I seen the coast / desert like an ocean, although I've seen more than most it aint enough / These eyes are stomachs, stomach's like a labor camp".

Autre compo bien rock, The Bridges, Let Us Down est brillante dans le genre, avec ces guitares dissonantes et amplifiées habillant un texte de haute volée qui basculera sur des violons parfaitement placés.
"I Like people with flowers, because they trying, because they haven't given up..."

 

Mais là où l'on saisit réellement l'ampleur du disque, c'est sur le sublime A Hundred Light Years and Running. Ce titre est un vrai miracle. Démarrant sur une simple gratte acoustique pincée et un harmonica soufflant au loin, Sole vous pilonne avec ses pensées d'une façon bien posée, pour vous les imprimer bien profond dans votre cortex. L'ambiance est hypnotique, minimaliste, presque western. La melodie de la gratte est belle comme la nuit. Sur le refrain, on chante d'une voix faiblarde et lumineuse, pour laisser un deuxième couplet se faire assaillir par un rythme ultra appuyé, donnant des allures presque latines au tout. C'est tout simplement sublime. Sole rehausse la tension de ses paroles, avec un ton plus enlevé, cadrant parfaitement avec l'instrumentation. Refrain. La dernière partie est à s'arracher les tripes. Tout bascule dans une tornade de cordes, de guitares, avec un Sole devenu fou, en transe. Comme s'il allait mourir après la chanson. C'est tout à fait ça. Imaginez que le mec n'avait plus qu'un couplet à dire avant de disparaître à jamais. A la première écoute, j'en avais presque le souffle coupé. La progression du tout est à tomber par terre. Sûrement l'un des morceaux qui m'a le plus impressionné cette année. Un diamant, de bout en bout.

Pour se remettre du choc, le beaucoup plus classique The Shipwreckers permet de remettre les idées en place avec une ambiance très Bottle of Humans, le premier disque de Sole. Instrue planante, que l'on croirait sortir des machines d'Alias (qui a fait le mix final de l'album soit dit en passant), avec ces nappes arrivant sur la structure comme des gouttes d'eaux résonnant dans leur chute. Sole débite son texte avec une vitesse qui étonne, à se demander comment on peut aligner autant de phrases aussi conséquentes sans tomber dans le coma.

Autre classique « Anticonien », ce Sound of Head on Concrete avec ces samples de cordes à vous arracher le cœur et une MPC galopante, rythmant le titre comme de cinglantes gifles sur la gueule de votre poupon, un In Paradise reposant sur une ligne de guitare saturée et sombre, laissant toute la place aux beats bien massifs ou un On Cavalry presque classique dans son traitement, mais néanmoins très beau et planant... On serait presque étonné de croiser un dub - reggæ des cavernes avec Nothing Is Free, énorme, avec un refrain qui parasitera plus d'une tête sous la douche.

 

Nobody Wants Your Poisoned Kidneys

Mais Sole ne peut se détacher de ses bonnes vieilles habitudes, et les titres Sole²
Sole²
expérimentaux et noirs qui tissaient la majorité de ses productions se retrouvent encore un peu ici. En sous nombre, ils sont plus marquants, sortants clairement du lot par leur structure dérangée. The Bone of My Pets en est le meilleur représentant, et l'une des têtes de liste du disque. Démarrant sur un piano classique bien lugubre, qui saccade rapidement pour former un ensemble oppressant, le tout chapeauté par des beats acérés, presque psychotiques. Boum, tout ralenti, devient lent ; gros coup de frein, avant que le concert classique saccagé reprenne ce qui lui revient de droit. Et hop on rebascule sur un hip-hop crépusculaire, ralenti, presque screwed, avant de balancer Sole sur une Amstrad un peu claudicante, oppressante. Gros malaise quand le piano retrouve l'aisance du tout début. On conclura sur un « This is the bones, the bones of my pets, this is the bones... » bien malsain, à griller les rares neurones encore en bon état après un tel traitement.

Heureusement pour les frileux, on revire dans le post rock, avec un One Egg Short of the Omelette avec une superbe composition, qui commence en apesanteur, pour s'emplir d'une grandeur peu commune chez Anticon, avec des instruments, des claviers débarquant de toute part, portant le tout dans les nuages. On se croirait dans un album de Mogwai. Des flûtes apaiseront le tout avant une explosion final à vous dresser les cheveux sur la tête. Superbe.

Le coup final, par Stupid Things Implode on Themselves, est violent. Parfaite conclusion pour un brûlot dans le fond plus que dans la forme, il fera chavirer les indécis avec cette sublime progression se voyant greffer toutes sortes d'instruments pour littéralement balayer les tympans. Prédominera un orgue surpuissant au début, accompagné de violons déchirants. Le ton est grave, sérieux en diable, et va basculer dans une transe ramassée, entre concert tzigane et rock fiévreux, laissant des murs de sons s'occuper de l'exécution finale. L'orgue revient, pesant, lourd, grandiloquent, comme un chef dirigeant ses troupes, ces dernières noyant Sole sans jamais l'effacer totalement. Ce ne sont pas les dernières trente secondes plus apaisées qui nous vont nous enlever de la tête que ce titre est tout simplement grandiose. Les paroles sont affolantes, Sole constatant encore de sa vision noire et acerbe que tout part en vrille dans une société imagée, mais pas si éloignée de la notre. Et ce qui est bien, c'est que le ton de ses déclarations cadrent parfaitement avec leurs contenus. Tim Holland est dégoûté par ce qu'il voit, et le dit avec ses tripes.  " Everybody wants to be a kid again but only a fool would raise a kid in this / Nobodys out to get out, but everybodys out to get what you got / Keep the dogs hidden, the guns loaded, the "well" well guarded / The Kids are quiet or sold south for organs, but nobody wants your poisoned kidneys".
Ok... Le reste du texte est tout aussi apocalyptique, et ferait passer la société de n'importe quel autre film d'anticipation pour un paradis.

 

Underground Resistance

Sole, comme sur ses précédentes productions, ne fera pas l'unanimité. Certains reprocheront, encore, sa façon de déclamer ses textes comme le ferait le gourou d'une secte, ou que ces derniers soient comparables à de véritables romans. Certains le trouveront aussi presque antipathique à trop prêcher l'underground, à se croire encore précurseur d'un mouvement dont il a pourtant enflammé la mèche.
Mais la critique d'un univers aride et presque autiste est maintenant balayée par la sonorité touffue et riche de cet album. Ce Sole and the Skyrider Band est l'un des rares disques à faire parfaitement le pont entre hip hop et rock. Pas de ceux qui rajoutent trois guitares histoire de, mais dans une vraie démarche musicale, comme pouvait le faire Dalek avec son Absence. Sole a du beaucoup écouté de disques de Mogwai and co avant de pondre le sien. Car si l'empreinte Anticon est très présente sur certaines titres (The Bones of My Pets, The Shipwreckers...) la structure de beaucoup de titres flirtent avec le post-rock, en plus concis évidemment, mais avec ces instrumentations touffues et cette manière si particulière de monter, gonfler, avant d'exploser dans une myriade de sonorités...

Il est aussi l'incarnation du label qui se remet un peu en question, qui se reprend en main pour éviter de s'enliser. Grand bien lui fasse, vu les sorties de ces derniers mois.

 

Ce Sole and the Skyrider Band est un grand disque de hip-hop, comme on n'en fait peu. Parce qu'il n'en est pas vraiment un, mais surtout parce qu'il est maîtrisé de bout en bout. Parce qu'il fait le choix de voguer sur l'acoustique, là où toutes les productions, et même celles de son propre label, s'obligent a verser sur de l'électronique pour avoir un minimum de succès...
Mais c'est surtout un disque totalement habité par un homme halluciné, presque incohérent, la bave aux lèvres, scandant ses pamphlets comme si sa vie en dépendait. Un vrai écrivain, comme on n'en fait (presque) plus. Un mec qui s'investit dans chacun de ses mots, même s'il ne s'agit que d'un simple adjectif. Qui fait vivre ses écrits en vous les balançant littéralement à la gueule. On ne demande qu'une chose : qu'il continue à nous secouer, à nous tabasser de la sorte. Certains morceaux frisent même le miracle sonore, avec les sublimes A Hundred Light Years of Running, Bone of My Pets ou One Egg Short of the Omelette...)

 

Beaucoup perdent la tête en se demandant quel sera l'album hip hop indé de l'année... Aesop Rock, El-P ou Shape of « Dr Who Dat » Broads Mind, sans trouver la reponse...

Tout simple : ce sera celui de Sole, sans hésitation possible.


Sole - Sole and The Skyrider Band
01. A Sad Day For Investors
02. Ghost. Assassinating Other Ghosts
03. Nothing Is Free
04. The Bridges, Let Us Down
05. A Hundred Light Years and Running
06. The Shipwreckers
07. Sound of Head on Concrete
08. Magnum
09. The Bones of My Pets
10. In Paradise
11. One Egg Short of the Omelette
12. On Cavalry
13. Stupid Things Implode on Themselves