9/10Shearwater - Concert à la Maroquinerie

/ Critique - écrit par Danorah, le 31/10/2006
Notre verdict : 9/10 - Shearwater (Fiche technique)

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Shearwater - Concert à la Maroquinerie

Les Américains de Shearwater s'étant fendus récemment d'un album plus qu'enthousiasmant, c'est avec grande impatience que l'on attendait leur prestation live, précédée de celles de Luke Temple, petit nouveau bourré de talent, et de John Vanderslice, un peu moins nouveau, et un peu moins convaincant.

Mais commençons par le commencement. Luke Temple, visage d'ange et doigts de fée, s'avance seul avec sa guitare sur la petite scène de la non moins petite salle de la Maroquinerie. Le jeune songwriter propose à son auditoire encore clairsemé une musique aux sonorités folk, pleine de finesse et d'élégance. Une voix haute et fragile, d'une sûreté étonnante, ainsi qu'un bon goût et un talent affirmé pour la guitare, sont les principaux ingrédients du cocktail rafraîchissant que nous sert le jeune Américain. Ajoutons à cela un son de guitare précis et limpide, dépourvu de tout ornement superflu, des chansons souvent mélancoliques, parfois sautillantes, et ce sont des minutes de pur bonheur qui s'égrènent (trop vite) jusqu'à la fin du set ; à tel point qu'on lui pardonnera sans difficulté les quelques titres un peu inégaux qui auront marqué le début de sa prestation.

Viennent ensuite John Vanderslice et ses trois acolytes, qui tenteront mais en vain de dynamiser un public plus enclin à suivre les élans minimalistes d'un Luke Temple que les égarements bruitistes du chanteur-compositeur américain, pourtant plein de bonne volonté et de bonne humeur. Les compositions fourmillent d'idées, l'énergie est là, mais un son brouillon voire plutôt crasse dont ne ressort qu'une bouillie sonore informe vient réduire à néant les efforts du quatuor. Décevant.


Entre temps, la salle n'aura cessé de se remplir (tant d'auditeurs que de fumée) et c'est devant un public un peu plus fourni que Shearwater entamera son set. Avant même que le groupe n'entre en scène, la variété et le nombre impressionnant d'instruments qui garnissent la scène aiguisent la curiosité. Et puis les quatre musiciens font leur entrée, Jonathan Meiburg empoigne son banjo, Kim Burke sa contrebasse, Howard Draper prend place aux claviers et Thor Harris derrière sa batterie et son xylophone, pour entamer après quelques extraits des précédents albums un emballant Red Sea, Black Sea. Immédiatement, on se retrouve transporté dans une autre dimension : c'est un véritable quatuor-orchestre qui se démène sur la petite scène, se parant d'une prodigieuse richesse sonore (merci aux séquenceurs et autres petits gadgets du même acabit). Il n'est pas rare que les musiciens changent d'instruments au sein d'un même morceau, sans que le rythme ne s'en trouve pour autant affecté. Mention spéciale à Howard Draper qui non content de jouer à merveille d'un nombre incalculable d'instruments (percussions en tous genres, guitare électrique, basse, claviers...) offre même à Jonathan Meiburg une excellente seconde voix. Quant à celle de Meiburg, d'une clarté inouïe (c'est le cas de le dire), elle vous transperce de part en part, que ce soit dans les aigus maniés avec une aisance désarmante, ou dans les nuances maîtrisées à la perfection (des pianissimo à vous filer la chair de poule, vraiment).


Le groupe, sympathique mais peu bavard (Jonathan se fendra tout de même d'une ou deux anecdotes), enchaîne les titres à toute allure (White Waves, Seventy-four Seventy-five, La Dame et la licorne, un Nobody subtilement remanié qui gagne en profondeur...) dans un délire enfiévré bien plus extrême que ne le laissait présager la version studio de Palo Santo... Les sonorités folk laissent place à un rock transportant, lequel ne se départit pourtant pas de ces instants d'infinie douceur que compte l'album. On sent les musiciens habités jusqu'au bout des ongles, Draper s'agite sur sa guitare tel un pantin désarticulé, Meiburg chante comme si sa vie en dépendait, Kim tient à merveille son rôle de figure angélique dissimulant une précision diabolique, et Thor, aux allures de bûcheron-viking, révèle en fait une finesse et une sensibilité extrêmes. L'émerveillement atteint son paroxysme lors du final de Hail, Mary, échevelé, abasourdissant, tendu à craquer, à tel point que l'on en oublierait presque de respirer, et que lorsque Thor se lève et s'approche de l'avant de la scène pour signifier la fin du concert, l'on ne peut ressentir qu'un pincement au coeur. Heureusement, Shearwater ne sera pas avare en rappels, puisque les musiciens reviendront pas moins de trois fois sur scène, notamment pour interpréter un Palo Santo d'une beauté insondable.

Grosse claque que ce concert de Shearwater, dont on attendait certes une prestation de qualité (l'inverse eût été difficilement envisageable au vu de leur dernier album), mais dont on n'avait su soupçonner l'envergure et l'aisance scénique. Visiblement émus par le succès (amplement mérité) récolté ce soir-là, les Américains se montreront en outre très disponibles et chaleureux lorsqu'ils rejoindront leur public, à peine le concert achevé. Une soirée à graver dans sa mémoire le plus profondément possible, et une expérience à ne pas manquer pour quiconque a goûté de près ou de loin aux productions studio de Shearwater.