8/10Nenuko - Corridors

/ Critique - écrit par Dat', le 02/03/2008
Notre verdict : 8/10 - March of the Pigs (Fiche technique)

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Nenuko convie les esprits de Prodigy et consorts en zébrant sa techno de guitares crades. Les nostalgiques que nous sommes vont avoir les yeux mouillés.

Je suis un incorrigible nostalgique. Ne hurlez pas, je ne vais pas vous faire un énième couplet sur la mort annoncée de la musique et sur la sclérose de cette dernière, noyée dans la fiente que l'on pourrait nous servir en mode gavage à longueur de journée. Déjà, parce que le fumier, ça sert à faire pousser de belles plantes. Mais surtout parceque que la musique ne s'est pas aussi bien porté depuis un bail, d'une richesse sous jacente à filer le vertige. L'année 2008 en est le meilleur exemple, alignant bijoux sur bijoux sans discontinuer.

Mais rien n'y fait, en laissant traîner mes yeux sur les piles de disques entourant mon lieu de vie, je ne peux m'empêcher de verser une larmichette sur certains groupes atones depuis quelques années. Les longues épopées orchestro-drum&bass de Goldie. Le brouillard éthéré et sublime de My Bloody Valentine. L'espoir de ne pas les avoir vu mort d'une overdose ou d'un accident de moto débouche sur une attente interminable et vaine. Oh je suis médisant, Portishead, dix ans après, revient cette année avec un nouveau disque. L'arlésienne de la musique se remet enfin en branle. A voir si dix longues années n'ont pas érodé la force de ce groupe majeur.

Car des formations qui perdent des plumes au fil des ans, il y en a autant que de cheveux sur la tête du chanteur de Fancy. Il n'y a qu'à prendre Prodigy, LE groupe qui aura fait sauter la jeunesse contre les murs. A la sortie de Music for The Jilted Generation, il fallait des camisoles pour contenir notre envie de tout envoyer par-dessus bord en hurlant comme des forcenés (il en fut de même pour le cultissime Fat Of The Land). Depuis, la formation anglaise a choisi de verser dans l'anodin. d'épouser un(e) moule. Pas foncièrement mauvais, même presque sympa. Mais juste anodin. Autre grosse tête d'une adolescence mouvementée, Nine Inch Nails. Apres nous avoir arraché les tripes en s'ouvrant musicalement les veines, Reznor a choisi le chemin de l'electro-pop sympathique. La dernière livraison est excellente. Mais la nostalgie de voir ses groupes que l'on chérissait glisser petit à petit vers le calme normatif, vers des plaines plus doucereuses et moins accidentées réveille immanquablement les prostrés du passé que nous somme.

Nenuko, grenoblois de son état, semble avoir aussi été traumatisé par les groupes précités. Et plutôt que de maugréer inutilement comme je viens de le faire, il va carrément sortir guitares, boites à rythmes et synthés pour cracher un magma autoproduit qui risque fortement de plaire aux nostalgiques précités.

 

Claustrophobic Sting

Et si la sombre introduction Blind Minotaurs, peu avare en saturation, ne donnera que peu d'indices sur ces Corridors bien mal éclairés, on plonge avec délectation dans Daydream, hantant les tympans avec ce piano lugubre et ces crissements non identifiés. Bande son parfaite pour angoissés, la grande bâtisse se découvre sous nos yeux, le hall est vide, les rideaux se balancent au gré du vent. Un cri rompt le funeste charme, les lumières s'éteignent, la gigantesque porte se referme devant notre nez, nous étouffant dans l'immensité de la maisonnée abandonné : Panique, les guitares hurlent, les cris d'effrois nous transpercent, et l'on bascule de l'électro ambiant à la paranoïa du Métal, d'une violence rare. A rapprocher des exercices d'Ez3kiel dans leur dernier opus, Battlefield.

Mais je parlais de Prodigy plus haut. Il est clair que Nenuko a du s'abreuver des albums du combo anglais, tant sa musique transpire la rage des précités. Il en tire une musique aux basses rondes et cinglantes, ultra rythmées, parsemés de larsens rock et petites piques Trance. Le genre de composition qui rallie (c'est assez rare pour être signalé)  le public de genres parfois si antagonistes,  qui télescope avec un sourire pervers le rock et la techno, en tirant tout ce qu'il y a de plus fougueux. Puzzle Twins,  à jumeler avec Lost Keys, en sont les parfaits exemple, nous renvoyant donc aux premiers délires des Prodigy, délesté de son coté Dance. Les guitares tordues et abrasives supplantant les synthés cristallins, pour un bon headbanging façon boite à concert six pieds sous. Bon ok, les deux titres ressemblent étrangement à certaines compos du groupe Lunatic Calm, mais je parlais de nostalgie, et cela officiera donc de bon gros compliment.

A defaut de Nenuko, voici un Neko nu.
A defaut de Nenuko, voici un Neko nu.
La patte Nenuko, celle que l'on ne pourra greffer aléatoirement sur une influence, est sacralisée par Amniotik, longue divagation inclassable. Nous plongeant dans une caverne de glace lors de son amorce, jouant sur les échos et de petites fréquences caressants vos oreilles, le titre va laisser perler une mélodie fragile, toute belle, timorée, avant de se faire voler par un piano toujours sombre et des nappes synthétiques. Voix fantomatiques, les beats déboulent et fracassent l'innocence des prémices pour nos balancer dans un breakbeat hachant un semblant de hip-hop. L'explosion tarde mais se mue en une montée grandiloquente, soutenue par des violons appuyés, avant d'échouer sur un sample aux ambiances africaines. Sublime. La deuxième percée ne fera qu'enfoncer le clou. Inutile d'user de comparaisons plus ou moins fallacieuses, Nenuko tiens là "son" morceau, et non plus le-truc-qui-est-drôlement-bien-mais-qui-ressemble-à-quelque-chose.  On restera dans les soubresauts incontrôlés en écoutant le strident Lilac D. Floor, qui plaira à ceux qui aiment parader dans les raves en baisant des zombies, en bougeant de partout avec les bras. Jouissif.

Je parlais de Lunatic Calm, qui n'est connu du grand public que part un tube intemporel, utilisé à toutes les sauces. L'ultra communicatif « I wanna take you on a roller coaster, I wanna leave you far behind » a résonné sur tous tympans qui se respectent. Nenuko lui, ne s'embarrasse pas de Punch-line, mais peut se prévaloir, lui aussi, d'abriter un véritable petit tube dans son album : Woverdrive. Mélodie limpide à la guitare débouchant rapidement sur une boucherie dance breakbeat du plus bel effet, bien surplombée par des nappes menaçantes. Le tout donne immanquablement l'envie de se jeter contre les murs en hurlant de bonheur. Et quand le titre ralenti la cadence en optant pour le beat house, c'est pour mieux repartir à toute vitesse, cramant les rares inconscients qui auraient cedé à la bousculade. Je suis sur que le titre aurait pu être un vrai petit tube dans le milieu des années 1990, âge d'or d'une musique électronique décomplexée, rentre dedans sans jamais tomber dans le bourrinage gratuit, sans jamais laisser sur le trottoir la notion de mélodie.

 

Corridors and long shadows

On multiplie les références qui paraîtraient antédiluviennes, mais loin de moi est la pensée que  ce Corridors de Nenuko est suranné. Au contraire, il est comme le parfait hommage d'un gars qui a baigné dans cette période déglinguée où la Techno sodomisait le Rock sans arrière pensée et où tout le monde dansait en parlant de Fat Of The Land , Surrender ou The Future Of War. Aujourd'hui les uns font la gueule aux autres, et Nenuko semble en être fatigué. La démarche est courageuse, voir presque suicidaire, mais le tout est réglé avec mæstria, sans trop être emprunté, laissant parfois court aux divagations un peu faciles inhérentes au genre, mais au combien jubilatoires. Tout n'est pas parfait dans ce Corridors, et les petites erreurs de jeunesses zèbrent sans véritablement choquer. Certains gimmicks sont usités jusqu'à la moelle, et répondent à une structure un peu calquée sur les ténors du genre. On croirait même reconnaître quelques bruits sortis de certains classiques, sans en être véritablement certains. On regrette aussi qu'il n'y ait pas plus d'exercices comme Daydream, qui est sûrement le titre le plus maitrisé de l'album.

Mais pourtant la magie opère, et l'on sourit comme un niais en se promenant dans ce disque, trop content de revoir exploser la rage presque innocente du Breakbeat d'antan. Car au final, Corridors porte aux nues avec excellence un genre presque oublié, lacérant sa techno crade de guitares bien sales, pour le plus grand plaisir des nostalgiques encroûtés que nous sommes.

 

Nenuko - Corridors
01. Blind Minotaurs
02. Daydream
03. Puzzled Twins
04. Lost Keys
05. Amniotik
06. Unexpected Memories
07. Further West
08. Lilac D.Floor
09. Rayban & Hennessy
10. Woverdrive
11. Wavering Lights