Médine - Interview

/ Interview - écrit par Toma, le 28/01/2007

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Interview de Médine

A l'occasion de la sortie du hors série Table d'écoute, En attendant Arabian Panthers, Krinein rencontre Médine pour faire la première fois, histoire de faire le point sur son passé et bien sûr sur son actualité.

Krinein : Bonjour Médine, pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Médine : Médine du Havre, 23 ans, j'ai sorti 3 disques dont 2 albums 11 Septembre et Jihad - Le plus grand combat est contre soi-même. Le troisième c'est Table d'écoute, c'est un hors série, pas vraiment un album. C'est un disque qui sert de pont entre mon dernier album Jihad est le futur Arabian Panthers d'où le sous-titre Table d'écoute, en attendant Arabian Panthers.

K : Et à l'origine de tous ces albums, comment vous est venu votre passion pour le rap ?
M : C'est assez naturel. C'est à dire que c'était simplement l'envie de dire un certain nombre de choses, de dénoncer un quotidien. Donc on prend la plume, on commence à écrire, comme un exutoire. Ensuite on se professionnalise, on rencontre quelqu'un, des gens plus âgés qui ont déjà un pied dans l'métier et puis des gens comme Ness & Cité qui ont monté le label Din Records. Et aujourd'hui moi je suis artiste avec Din Records. Donc c'est assez naturel comme cheminement. Maintenant ça peut paraître simple comme je le dis mais c'est quand même un petit peu plus complexe, c'est vrai que c'est plus une aventure humaine avant d'être une aventure artistique.

K : Aujourd'hui Médine, on vous colle un peu l'image « 11 septembre ». On sent que ça vous a particulièrement marqué. Est-ce que ça a été le déclencheur pour vous professionnaliser » ?
M : C'est vrai qu'au départ, avant le 11 septembre, j'avais pas cette façon de rapper assez virulente, c'est vraiment une façon de rapper qui m'est arrivée après le 11 septembre. Pourquoi, parce que j'avais un certain nombre de choses à dire, on était en train de parler de ma communauté, j'étais un peu frustré par rapport à ce qui se disait dans les médias et j'avais mon mot à dire. Donc en tant que jeune issu de l'immigration musulmane des quartiers j'avais mon mot à dire donc pour ne pas simplement le dire je voulais même le gueuler, le crier.
Donc j'ai pris la plume, j'ai écrit différemment que par le passé. C'était vraiment un changement sans précédent pour moi au niveau du flow, au niveau de la façon de rapper et aussi dans l'écriture. Le 11 septembre a vraiment déclenché en moi toutes les frustrations que j'avais. C'est toujours le même combat, d'essayer d'améliorer notre quotidien. Parce qu'aujourd'hui on est victime d'un certain nombre de préjugés, de clichés, que ce soit dans les médias ou même chez certaines personnes.
Donc il fallait que je continue à défendre les gens qui me ressemblent, à essayer de défendre mon environnement de vie parce qu'il n'y a pas que du mauvais comme on voudrait nous le faire croire dans les infos. J'espère vraiment améliorer mon quotidien et celui des gens par le biais de mon rap.

K : Vis-à-vis de la communauté musulmane...
M : Et aussi de dire que les gens des quartiers ce sont pas que de des voleurs et des casseurs. Y'a des gens qui s'organisent comme nous on a pu le faire. Aujourd'hui on a créé une société qui s'appelle Din Records, ça fait vivre une dizaine de familles dans un quartier, on est en zone franche. C'est pas négligeable, on essaye vraiment de montrer l'exemple aux gens qui nous entourent, sans prétention, vraiment qu'avec notre action, on essaye de dire « voilà on peut s'en sortir on peut y arriver avec un minimum d'organisation et de rigueur. »

K : Et ça n'est pas trop dur de ne pas trop faire passer votre carrière personnelle devant le reste ?
M : C'est vrai que ça pourrait être difficile mais j'en suis pas encore là. Là j'arrive encore à peser le pour et le contre et à faire passer les priorités. J'en suis pas encore au point d'être submergé par mon coté artistique pour oublier mon combat. Peut être que ça viendra mais j'espère être assez fort pour ne pas me laisser emporter par le star système.

K : Oui mais il arrive un moment où vous allez sans doute évoluer dans vos albums, dans leurs contenus et donc peut être laisser un peu de coté votre combat d'aujourd'hui ?
M : J'pense que je vais évoluer au niveau de mon écriture mais y'aura toujours ce coté revendicateur. On est des revendicateurs depuis le couffin et on va mourir avec. Je pense pas qu'un jour on se dise « on est plus des engagés socialement, on est des consommateurs ». Non on a envie d'être actif, moi je sais que je veux pas vivre ma vie en tant que consommateur, à consommer le JT, à approuver et à jamais pouvoir défendre mes idées. Non j'ai des choses à dire et je veux me faire entendre, c'est ça mon but.

K : On entend souvent les artistes, dans le rap mais pas seulement, dire « attendez je suis un artiste avant tout, je suis pas là pour faire de la politique... »
M : Moi je suis pas d'accord avec ça déjà. Tout simplement que pour moi l'artiste il est forcément engagé. Artiste c'est un pléonasme d'engagé pour moi. Dès qu'on utilise le mot artiste on doit savoir qu'il y a le mot engagé derrière. On pourrait même utiliser directement le mot engagé pour appeler un artiste. Je le pense vraiment, parce qu'à partir du moment où tu as la possibilité d'avoir la parole, il ne faut certainement pas la gaspiller à dire « Je ne suis qu'un artiste, ne me parlez pas de politique, ne me mélangez pas avec ces gens là ». Au contraire, y'a des gens qui se reconnaissent dans ton discours, y'a des gens qui t'apprécient, qui te suivent, qui achètent tes disques, qui aimeraient savoir ce que tu penses sur tel ou tel sujet, que ce soit la politique, la religion, les phénomènes géopolitiques. Je pense qu'on doit donner notre avis, notre opinion, même si ce sont pas forcément les bonnes à suivre. Y'a pas de « Non je ne suis qu'un artiste », je suis un engagé, posez-moi les questions sur tous les sujets de la vie je vous répondrai. Même si je suis pas un expert sur tel ou tel sujet, je peux avoir un avis.

K : Les idées pour lesquelles vous vous battez sont écoutées principalement par des jeunes, musulmans, qui vivent dans des quartiers, et qui...
M : En gros tu veux dire qu'on prêche des convaincus ?

K : ... Moui c'est un peu ça...
M : C'est vrai que je me suis déjà posé la question en me disant est-ce qu'on joue pas le jeu de dire aux jeunes ce qu'ils veulent entendre. Il faut savoir que je ne suis pas tendre avec ma propre communauté et avec mon entourage. C'est vrai qu'il y a des choses à dénoncer dans ma propre communauté et je les dénonce comme je dénonce les injustices qui sont exercées sur ma communauté. J'essaie vraiment, non pas d'être objectif, mais d'être le moins subjectif possible. Je suis dans cette logique là de dire « certes on prêche des convaincus mais il reste un certain nombre de personnes qu'on arrive pas à quantifier, qui nous écoutent, qui lisent nos interview sur internet. Je veux m'adresser à ce genre de personnes là aujourd'hui. Parce que j'ai des messages qui sont communs. Tu prends une chanson comme Petit Cheval dans mon ancien album Jihad qui parle de l'histoire des indiens, c'est commun à tout le monde. Tout le monde a appris l'histoire de Nagawi à l'école, de Geronimo, de Crazy Horse etc. Simplement moi je l'ai écrit d'une façon assez dur et différente de celle dans les livres d'histoire. Je pense que c'est commun aux jeunes français de souche ou issus de l'immigration.

K : Et comment convaincre ceux qui n'écoutent pas du tout de rap, ceux qui ont un certain nombre d'idées arrêtées sur les thèmes que vous défendez ? Avez-vous d'autres projets en parallèles du rap ?
M : Je sais qu'aujourd'hui le rap ça ferme énormément de personnes, parce que ça reste la musique marginale, qui est très virulente dans ses propos etc. Maintenant moi je suis un rappeur, je suis pas un écrivain, je suis pas un philosophe, je suis pas autre chose qu'un rappeur. Ce que j'aime faire c'est le rap, j'ai grandi dans le rap, c'est mon art, c'est une discipline que je respecte énormément et que je veux amener le plus loin possible. Et je pense que c'est en rappant que j'arriverai à convaincre le petit nombre de personnes qui ont des préjugés. Pas en les touchant directement mais peut être en touchant leurs enfants, leur entourage, etc qui eux vont être amenés à dire à leurs parents « mais non tu dis n'importe quoi, moi je connais des gens qui vivent des situations difficiles, qui ont des problèmes mais qui arrivent à s'en sortir, si moi je peux arriver à les comprendre, toi aussi tu peux arriver à les comprendre. »

K : Donc pour l'instant c'est uniquement le rap ?
M : A l'heure actuelle c'est uniquement le rap. Peut être que je serai amené à écrire des bouquins, mais pour l'instant c'est le rap.

K : Alors comme vous disiez précédemment un artiste, un engagé, doit avoir un avis sur tout, que conseilleriez-vous aux jeunes pour les prochaines élections ?
M : Déjà moi je vote depuis l'âge de mes 18 ans, c'est un bon héritage de mes parents qui m'ont obligé, et je les remercie aujourd'hui, à m'inscrire sur les listes électorales. Donc j'insiste vraiment pour que les gens aillent s'inscrire sur les listes électorales, non pas pour voter pour quelqu'un mais pour voter contre quelqu'un. A l'heure actuelle je peux pas dire aux gens d'aller voter pour untel parce qu'il n'y a pas encore eu de programmes énoncés par les candidats. On entrevoit ce que les candidats vont dire seulement. Mais je sais qu'il ne faut pas voter pour des gens comme Sarkozy ou comme Jean-Marie Le Pen par exemple. Je ne veux pas que les gens votent pour eux mais je ne veux pas non plus qu'ils votent pour quelqu'un d'autre.
C'est vrai aussi que j'ai pas forcément une grande culture en politique, je me fais ma culture en regardant malheureusement la télévision, on avale la pilule, mais aussi en faisant mon approfondissement de mon coté. Mais j'insiste vraiment pour que les gens n'aillent pas voter pour Nicolas Sarkozy ni pour Jean-Marie Le Pen. Ah oui pis pas non plus pour Philippe De Villiers parce que je crois qu'il va se présenter aussi. Faut surtout pas voter pour ce personnage là, paranoïaque sur tous les bords, qui fait renvoyer des bagagistes de Roissy sans aucune raison...

K : Quelles sont vos relations avec les journalistes qui, on l'a vu aux précédentes élections, peuvent avoir une influence forte sur la politique, en déformant parfois les choses ?
M : Comme on dit tout le temps chez Din Records, que ce soit pour n'importe quel artiste, nos interviews deviennent des interrogatoires. Parce que la plupart du temps, lorsqu'on rencontre des gens de la presse généraliste, ben il faut enlever tout un tas d'étiquettes qu'on nous colle : Ne vous inquiétez je ne suis pas un rappeur qui va vous poser des bombes, ne vous inquiétez pas je ne suis pas là pour couper toutes les têtes, ne vous inquiétez pas j'ai pas envie de brûler votre voiture. Donc faut enlever tout un tas d'étiquettes, donc on est un peu sur la défensive, faut toujours essayer de se justifier.

K : Et pour certain média est-ce que vous pensez qu'il faut tout simplement refuser car on sait que, quoi qu'on dise, les propos seront déformés ? Ou faut-il malgré tout y aller pour toujours essayé de les convaincre ?
M : Ben ça depend. Je sais que dans ma parano, si jamais j'étais amené à faire des plateaux télé, ce genre de choses, je pense que je ferais des contrats de sûreté et de droit de réponses surtout. Parce que je sais que malheureusement nos paroles peuvent être déformées et on peut pas contrôler toutes ces choses là. Mais je pense que je prendrais un certain nombre de précautions avant de me lancer la tête la première et faire du tort à ma propre communauté. Parce que me faire du tort à moi-même, ok, mais faire du tort à ma communauté, aux jeunes de quartiers, ça ça reste plus difficile à accepter.

K : Est-ce que vous avez des modèles que vous suivez, des idoles qui vous inspirent ?
M : Y'a un certain nombre de personnes mais malheureusement elles sont décédées. Elles ont été assassinées. Je pense à Malcolm X, je pense au Commandant Massoud, ces gens qui ont posé le chemin de fer de ma pensée. J'essaye de marcher sur leurs traces. Maintenant voilà, j'fais du rap, j'ai pas la même action qu'eux, j'ai pas la prétention de dire que je reprends leurs combats, mais tout simplement je fais référence à eux dans mes textes pour donner des pistes à des gens pour leur dire que voilà : y'a des personnes de votre communauté, qui ont existées et qui sont les modèles à suivre et non pas les Tony Montana ou bien les Ben Laden. Je veux vraiment remplacer les pseudo-héros qui existent aujourd'hui dans les chambres d'adolescents.

K : Et des modèles qui sont encore vivants, qui seraient tout aussi charismatiques ?
M :
A l'heure actuelle sincèrement non. Tout simplement pour deux bonnes raisons. La première c'est qu'aujourd'hui on est dans une sorte de démoralisation de la société. Je pense pas qu'on puisse voir émerger des leaders d'une société qui tend vers l'immoral. Et la deuxième raison c'est qu'aujourd'hui l'engagement politique est risqué, la preuve Massoud et Malcolm X se sont faits assassinés, Martin Luther King c'est pareil. Donc c'est assez lourd à porter.

K : On va revenir un peu plus sur l'album Table d'écoute. Quel était le but de cette compilation, de cet opus ?
M :
Le but premier c'était vraiment de faire patienter les auditeurs qui nous suivent depuis le début, de les faire patienter jusqu'au troisième album. On a l'intention de sortir le troisième album en septembre 2007 et donc ça fait un sacré paquet de temps, même si j'apparaîs sur un certain nombre de compilations qui sortent en ce moment, One Beat, Taxi 4. Il fallait que je ressorte un projet solo, j'avais besoin de quelque chose de plus personnel et Table d'écoute répond bien à ces critères là. C'est 10 titres inédits spécialement composés pour Table d'écoute et pour les auditeurs qui nous suivent depuis le début.

K : C'est allé plutôt vite entre tous vos albums solos finalement ?
M : Ben c'est une grosse envie d'écriture surtout. J'ai vraiment un trop plein d'écriture en moi et il faut que j'écrive, j'écrive, j'écrive. Et puis après j'arrange ça sur les productions de Proof et puis voilà ça fait des bons morceaux, y'a une bonne alchimie, les gens nous suivent de plus en plus, donc on va continuer dans ce sens là je pense.

K : C'est pas trop dur de s'imposer quand on vient du Havre ? Vous me faites un peu penser aux NAP qui résistaient du côté de Strasbourg...
M : Oui c'est le même esprit. C'est un avantage et un inconvénient d'habituer en province. L'avantage c'est qu'on voit arriver les choses, on peut prendre du recul sur ce qui se passe dans le mouvement rap de la capitale. Et l'inconvénient c'est forcément l'éloignement géographique. Il faut qu'on mange 2 heures de route à chaque fois qu'on veut venir ici et puis on est pas forcément prioritaire pour les projets qui se font ici sur Paris. On ne pense pas forcément avec nous parce qu'il faut venir de loin etc. Bon c'est vrai que ça s'améliore aujourd'hui parce qu'on est énormément sur Paris. On est au minimum une fois par semaine sur Paris.

K : Oui donc y'a quand même une certaine volonté de vous rapprocher, de pas vivre isolé...
M : Comme on dit souvent "Indépendance ne veut pas dire autarcie". Il faut être indépendant mais il faut quand même se raccrocher à la base.

K : Pour finir, niveau concert, niveau actu en général, qu'est-ce qu'il se passe ?
M : Alors au niveau actu pour l'instant je me consacre à l'écriture du troisième album. Ca demande un certain temps, c'est assez dense en documentation, en lecture, en bibliographie, en filmographie,... Donc les concerts c'est pas encore ce que je privilégie parce que pour monter sur scène il faut avoir un très bon album.

K : Oui mais vous en avez déjà deux très bons ?
M : Oui d'accord mais c'était plus un choix artistique d'arriver avec un contenu plutôt qu'avec une image.

K : Merci beaucoup Médine pour cette interview, bon courage pour tout le travail pour le troisième album et à une prochaine j'espère.
M :
Merci à toi, merci à Krinein.