Klub des Loosers - Interview

/ Interview - écrit par Filipe, le 06/06/2005

Tags : klub musique album fuzati loosers rap hip

Interview du Klub des Loosers

"Tous sont persuadés de faire partie d'une élite éduquée. Alors que tous se piquent leur place dans la queue de la Boulangerie ou du Marché. Je ne connais pas d'autre endroit où à 40 ans les femmes portent encore le serre-tête en velours. Attendent un douzième enfant et vont se confesser tous les jours. C'est d'ailleurs ici que plein de jeunes ont rencontré notre Seigneur Jésus. J'ai beau arpenter les rues, pas de chance je ne l'ai jamais vu. Marie-Charlotte aimerait me faire croire qu'elle a quelques amis basanés. Mais ce ne sont que Pierre et Louis qui rentrent bronzés de l'Ile de Ré..." (Extrait de "Sous le signe du V")

C'est à l'occasion de la sixième édition du festival "La Tour prend l'air" que nous sommes parvenus à rencontrer Fuzati, le masque du Klub des Loosers. Qualifié de "super anti-héros misanthrope & misogyne", Fuzati préfère se dire qu'il est juste "un type qui a eu une illumination, au milieu de tous ces jeunes que tout prédestine à la réussite (HEC, science-po) et qui lorsqu'ils se retrouvent ensemble ne savent pas faire autre chose que de se défoncer." Ce jour-là, Fuzati se montre particulièrement excédé par son image de "rappeur des beaux quartiers" et très à cheval sur le temps de parole m'ayant été imparti.

K : Avant toute chose, merci de nous recevoir et félicitations pour votre concert de ce soir. Connaissant un peu Versailles, pour y avoir fait une partie de mes études, j'ai un peu de mal à imaginer une scène "underground" là-bas. Comment t'es venue l'idée du Klub des Loosers ?
Fuzati : Eh bien justement, si tu connais Versailles, tu t'apercevras qu'il y a une espèce de décalage entre beaucoup de gens qui, parce qu'ils ont eu la chance d'avoir des parents qui viennent d'un bon milieu social, se considèrent comme faisant partie de l'élite de la France... enfin, quand tu les écoutes parler en tous cas. Mais en fait, ils font quoi de plus que les autres jeunes, à part fumer des joints et jouer à la Playstation ? Je me suis dit, voilà, c'est un Klub de Loosers, parce que ces mecs, contrairement aux autres jeunes, ont tout dans les mains et ne font rien avec. Je trouve ça intolérable. Quand tu as eu la chance d'avoir accès à l'éducation, si tu te mets à ne pas lire de livres, comment est-ce que tu transmettras quelque chose à tes enfants ? Et puis s'il y a deux "o" à Loosers, c'est parce que je me sens un peu détaché de tout, je me sens toujours observateur et pas très impliqué dans le monde. C'est aussi pour ça qu'il y a le masque : je m'efface derrière les choses.

K : On va revenir assez rapidement sur ton enfance à Versailles. Qu'est ce que tu as retenu de ton catéchisme ?
F : En fait, je ne suis pas du tout allé au catéchisme. J'aurais pu avoir une enfance à Saint Quentin, ou à Viroflay ou n'importe où. Seulement, comme c'est Versailles, les gens s'imaginent tout de suite un cliché et ils me le collent. Mais moi, je n'ai rien à voir avec ça. Mes parents ne sont pas du tout super bourgeois. J'aurais pu venir de Meaux, ça aurait été la même chose. Après, j'ai joué avec cette image de Versailles, parce que je sais que les gens fantasment tellement dessus, que je me suis senti obligé de faire un morceau pour leur expliquer un peu. Mais je n'ai pas de particule à mon nom et je ne suis pas particulièrement bourgeois. Tu vois, DJ Detect vient de La Verrière. On a la même histoire. Et si j'avais vécu à La Verrière, j'aurais raconté la même chose.

K : Vous êtes ensemble depuis le début tous les deux ?
F : On travaille ensemble depuis cinq ans. Avant, il y avait un autre DJ dans le groupe, qui s'appelle DJ Orgasmic, et qui travaille aujourd'hui avec TTC.

K : Pour en revenir rapidement à ton parcours, tu as ensuite fait tes études à la fac de Saint Quentin. Dans tes chansons, tu évoques l'enfer des prépas...
F : Je ne suis pas du tout passé par là, mais j'ai vu, autour de moi, des personnes se suicider à cause de la pression de la prépa. Tu sais, je trouve qu'on est super politiquement corrects en France, et ça, c'est le genre de choses dont on ne parlera jamais. Ce qui est horrible, c'est que dans les statistiques des classes prépas, il est prévu que, de toute façon, il y en ait deux qui meurent tous les ans. J'ai perdu un super bon pote avec ça : trois mois de prépa et il s'est jeté par la fenêtre. Tu te dis, voilà, à dix-huit ans, à cause d'une pression à deux balles, un mec se suicide, c'est vraiment n'importe quoi. Quand tu es jeune, tu as dix-huit ans, tu te prends ça "dans la gueule"... et puis quand tu avances en âge, tu te dis que ce mec-là aurait pu arrêter et faire autre chose de sa vie. Je trouve ça débile et vu que personne n'en parle, je me suis dit : autant le faire, autant en parler.

K : C'est vrai qu'il y a un gros silence autour de ce phénomène en France. Ensuite, tu signes chez Record Makers, un label versaillais...
F : Juste avant ça, j'ai quand même sorti un album avec DJ Detect, Cyanure, Paraone, Tacteel, James Delleck et Tékilatex, du groupe TTC, qui s'appelle L'Atelier. Et le titre Baise les gens est apparu sur une compilation qui s'appelait Projet Chaos, sous le label Waxexpress. Seulement après, j'ai signé chez Record Makers.

K : Donc tu signes chez un label versaillais. Peu de temps après, tu collabores avec Jean Benoît Dunckel, un des deux membres du groupe versaillais Air. Est ce que c'est une manière de marquer le coup, de jouer à fond la carte "Versailles" ?
F : Non, non, pas du tout. Record Makers, c'est le premier label que je suis allé voir. Je n'ai pas eu besoin de leur expliquer grand chose. Ils m'ont laissé faire l'album que je voulais. Et puis ça me faisait bien rire que ce soit un label versaillais, mais à vrai dire, je m'en foutais un peu. Et je ne connaissais pas Jean Benoît Dunckel auparavant, mais je voulais faire un morceau sur Versailles et je trouvais ça assez jouissif que ce soit Air qui fasse l'instru. Eux aussi ont galéré dans Versailles. C'était une belle rencontre. Eux aussi connaissent bien la ville, et Jean Benoît et Nicolas - même si ce dernier n'y a pas participé - se reconnaissent bien dans ce morceau. Et puis tu sais, il y a un espèce de fantasme chez plein de petits blancs, de mecs qui ont aimé le hip hop mais qui n'ont pas forcément osé en faire parce qu'ils ne se reconnaissaient pas dans l'imagerie. Moi, je suis peut-être un des premiers à avoir eu "les couilles" de le faire, de faire un hip hop différent.

K : Mais est ce que, justement, ça ne te dérange pas que les médias s'intéressent davantage à ton origine versaillaise plutôt qu'à ton style de musique ?
F : Tu sais, ce sont les médias et tu ne peux rien y faire. Ils ont toujours besoin de trouver un angle à leurs papiers. Le Parisien avait titré : "Fils de famille, rappeur à succès". Je ne suis ni l'un ni l'autre. Mais ce n'est pas grave. Il ne faut pas t'attendre à ce que les médias renvoient une image très fidèle de toi. Ils aiment bien coller des étiquettes.

K : D'ailleurs, à ce propos, j'en ai besoin d'une pour toi...
F : (hésitation) Je ne suis pas journaliste...

K : Ensuite, il y a eu la sortie de ton album, Vive la vie, sur lequel figurent des titres comme Baise les gens, Poussière d'enfants et Sous le signe du V, dont on a déjà parlé. Tu évoques pas mal de tes angoisses, qui sont aussi, je pense, celles d'un grand nombre de gens : la peur de la solitude, la peur de ne pas toucher de retraite, la peur de mourir...
F : L'envie de mourir, même, ce qui est radicalement différent...

K : Mais pour dédramatiser tout ça, tu optes pas mal pour l'humour noir ou le cynisme. Ce qui m'amène à me rappeler d'une copie de philo : d'après toi, peut-on rire de tout ?
F : Ouh là, tu vas loin... Oui, mais pas avec n'importe qui, et ça se vérifie vraiment tout le temps. Après, chacun a ses propres limites. Il y a des choses qui, moi, ne me font pas rire. Mais de ma part, il n'y a jamais eu de provocation. Même ce qui a l'air gratuit ne l'est jamais. Je n'avais pas envie d'être uniquement "premier degré". Je ne voulais pas faire comme tous ces mecs de la chanson française, qui se prennent la tête. Mon album, tu peux l'écouter en rigolant et en te disant que c'est juste un délire. Mais si tu cherches bien, ce que je dis a toujours un sens et tu pourras l'écouter en te prenant la tête. C'est bien d'avoir ces deux degrés de lecture, je pense.

K : Les médias vous ont classé comme étant les rappeurs "pour ceux qui n'aiment pas le rap", avec des groupes comme les Svinkels, Stupeflip, TTC. Que penses-tu de cette appellation ?
F : Il y a une différence entre rap et hip hop. En France, les gens connaissent surtout le rap, sans vraiment connaître la culture hip hop. Il y a plein de mecs qui rappent qui n'ont aucune culture hip hop. Il faut vraiment faire une différence. Moi, je fais du hip hop, je ne fais pas de rap.

K : Et que penses-tu de ceux qui "aiment le rap" en France ? Tu te sens quand même assez proches d'eux, non ?
F : Tu sais, le hip hop a toujours été une musique large. Il y a toujours eu plusieurs courants. Le problème en France, c'est qu'on veut toujours montrer le rap de rue, le type "caillera". Moi, je ne suis pas du tout contre ça mais je rappelle aux gens qu'il n'y a jamais eu que ça. Prends DeLaSoul, par exemple : ceux-là n'avaient pas l'image de "caillera". Moi, je fais de la musique, je fais ça sincèrement. Maintenant, ce que les gens peuvent en penser, ça ne m'intéresse pas. Quand j'écris un texte, je m'adresse à tout le monde. Tu vois, dans mon public, il y a des gens qui écoutent du hard rock. C'est bien de pouvoir toucher tous les styles de musique. A quoi est-ce que ça sert de se cantonner à un truc ? La musique est faite pour être universelle, pas pour toucher une certaine catégorie de personnes. Tu as trop de rappeurs qui rappent pour les rappeurs. Mon disque, tu peux le faire écouter à tes parents ou à ton dentiste. Même s'ils n'aiment pas, ils ne pourront pas dire qu'ils ne comprennent pas. Je ne m'adresse pas qu'aux initiés.

K : Je ne veux pas te retenir plus longtemps. On peut parler de tes projets. Est ce qu'on peut s'attendre à un nouvel Atelier, par exemple ?
F : L'Atelier, non, je ne pense pas. Mais sortir plein d'albums et faire plein d'autres projets, oui. Pour le Klub des Loosers, je pense qu'il y aura trois albums. En tant que Fuzati, j'en ferai plein d'autres. Je tenterai d'autres concepts. Faire de la musique.

K : Est ce qu'il y a d'autres collaborations de prévues ? Tu aimerais te rapprocher de quelqu'un en particulier ?
F : Il y en aura certainement d'autres, mais ça ne sert à rien d'en parler. Parfois, les choses mettent un an à sortir... Je bosse avec des gens. Chez moi, j'ai plus de cent cinquante instrus. Je bosse tout le temps et il y aura des choses qui sortiront.


Merci à Caroline (de chez Kontshasso) et Charlotte (de chez Ephélide) de l'avoir convaincu de répondre à ces quelques questions.