Isabelle Olivier - Interview - 1er novembre 2004

/ Interview - écrit par wqw..., le 04/11/2004

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Une harpe ? Dans le jazz ? Lâchez un peu vos a priori et venez découvrir la femme énergique et inventive qui se cache derrière Petite & Grande.

Isabelle Olivier est harpiste mais pas un rat de conservatoire. C'est plutôt dans la moiteur d'un club de jazz que vous risquez de la croiser un jour ou l'autre, puisque c'est le genre dans lequel elle sévit. Une harpe ? Dans le jazz ? Lâchez un peu vos a priori et venez découvrir la femme énergique et inventive qui se cache derrière Petite & Grande.

Isabelle Olivier
Isabelle Olivier
Comment de la harpe en es-tu venue au jazz ?

Par le hasard amical. Louis Moutin (batteur) m'a demandée un jour de jouer avec son frère François (bassiste) et Sylvain Beuf (saxophoniste). Ça a été un tel choc - j'étais au Conservatoire National Supérieur de Musique et alors que j'improvisais sans problème petite sur la harpe celtique, j'en étais au stade de ne plus pouvoir jouer une note... Après beaucoup de vide, j'ai joué un "chgling" et Louis a dit « super!!! ». A la suite de cela, nous avons fait un premier concert puis un deuxième et quelques années plus tard, j'aime de plus en plus cela !

Quels sont les artistes qui t'ont attiré vers ce genre ? Te sens-tu "l'héritière" de quelqu'un en particulier ?
Mon maître de harpe a été Pierre Jamet qui a rencontré et joué avec tous les compositeurs du XXème siècle : Debussy, Ravel, Stravinsky, Roussel avec une envie de chercher permanente... En jazz, il y a tellement de trésors que je les cherche et découvre au fur et à mesure. Ceux que j'aime particulièrement sont les pionniers, les explorateurs infatigables et pour cela le jazz est sans limite. Si des internautes ont des trésors à me conseiller, qu'ils me contactent !

Tu n'as pas quand même quelques noms à nous citer ?
Miles Davies, Gil Evans, Henri Texier, Louis Sclavis, A. Romano, Michel Portal, Boyan Z, Keith Jarrett, Thelonious Monk, Oregon, Steps Ahead, Wane Shorter, Weather Report, Herbie Hancock...

On dit souvent qu'il y a un réel décalage entre les musiciens de conservatoire et ceux qui pratiquent des musiques "moins nobles". Est-ce que pour toi ce passage a été difficile ?
Oui, alors qu'improviser est un état naturel au départ... Il faut absolument réintégrer la pratique de l'improvisation dans les conservatoires. C'est une prise de risque permanente, accepter l'erreur la note "bleue", écouter, écrire et jouer en temps réel. C'est palpitant !

C'est quelque chose que tu enseignes toi-même ou tu es complètement sortie de ce cadre là ?
Oui, j'ai formé une classe de harpe dans mon village de 7000 habitants - 27 harpistes, cette année, qui jouent tous les répertoires et qui abordent l'improvisation et l'écriture sous toutes ses formes au cours de leur parcours musical.

Est-ce qu'il a été ou est toujours facile d'imposer ton instrument dans ce milieu ? As-tu pensé à un moment ou l'autre à te réorienter vers la musique celtique ou le classique ?
Femme et harpiste en jazz fait toujours figure d'OVNI ou de provocatrice... Je m'y suis habituée et cela me fait sourire car pour moi, ça me paraît "normal". Heureusement qu'il n'y pas que des saxophonistes, des pianistes, des batteurs ou des bassistes... Le monde actuel manque de fantaisie et l'être humain ne rentre pas forcément dans une case préétablie... J'aime cette réalité.

L'idée du groupe (Océan) est venue tout de suite ?
Oui. La harpe a toujours été "océanique" pour moi et le voyage du groupe s'est construit autour de cet axe. Au départ, c'était un groupe en quartet. Avec les années, s'est développée la géométrie variable.

Ce sont toujours les mêmes personnes qui sont à tes côtés ?
Oui et non... Au fur et à mesure des années, s'est constitué un noyau solide de musiciens-amis sur qui je peux compter mais aussi la joie de découvrir des musiciens nouveaux et très talentueux qui viennent nous rejoindre. J'aime cette réalité de l'évolution permanente.

Isabelle Olivier
Isabelle Olivier
Et l'aventure en solo ou avec une formation plus réduite ne te tente pas ? Et mettre ainsi ton instrument un peu plus en avant...

Oui, c'est d'ailleurs le prochain projet discographique : le solo !

Tu expérimentes aussi, modifiant le son de ton instrument. Est-ce que tu fais un réel travail sur ce point ?
Cet album solo s'articulera sur moitié acoustique et moitié électro avec j'espère beaucoup de climats surprenants de la part d'une harpe...

Didier Lockwood a co-produit ton album, comment s'est passée cette collaboration ? Et quel regard portes-tu sur son propre travail ?
J'ai rencontré Didier, il y a trois ans. Il m'a encouragée et a fait preuve d'une confiance qui m'a beaucoup aidée à une période difficile pour moi. C'est un musicien très ouvert à toutes les musiques - ce qui est rare - et l'homme est loin des clichés qui lui sont souvent collés. Très belle collaboration musicale !

Qu'est-ce qui inspire de travail de compositrice ? Les choses de viennent telles naturellement ou est-ce un gros travail de réflexions ?
Le naturel se travaille longuement : c'est très difficile d'être simple... Mon inspiration est avant tout sur l'imaginaire, le voyage, l'exploration et les rencontres humaines. Mais je suis lente : en moyenne deux ans pour écrire un disque...

Il me semble que tu travailles aussi beaucoup en relation avec le théâtre, la danse, etc. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ta manière d'aborder cet autre espace de création ?
C'est un espace très agréable car c'est avant tout une rencontre avec d'autres univers et d'autres artistes... Ça oblige à sortir de son nombril et c'est indispensable. Ça me procure de l'oxygène. J'aime l'ouverture sur d'autres expressions, depuis toujours, et les comédiens, plasticiens, cinéastes, metteurs en scène, danseurs, circassiens, chorégraphes, etc. sont des stimulants extraordinaires pour une musicienne-compositrice.

Quelle est ta dernière collaboration du genre ?
La dernière est avec Agnès Varda pour son dernier film-documentaire Ydessa, les ours et etc. Cette femme m'a beaucoup apportée sur la rencontre artistique et sur le fait qu'une musique pour un film devait exister sans les images et vice-versa.

Est-ce que t'intéresse à d'autres types de musiques que le jazz ? Quels sont, tous genres confondus, tes derniers émois musicaux ?
J'aime toutes les musiques du moment qu'elles sont bonnes. J'ai vu de magnifiques concerts cette année : Keith Jarrett en trio, Scott Colley en quartet, Pierre Boulez dirigeant le "Sacre du Printemps" de Stravinsky avec le London Symphony Orchestra, Peter Gabriel dont je suis fan depuis Genesis. J'ai surtout écouté du rock dans ma "jeunesse" et voilà un artiste qui est exemplaire sur la durée et qui est comme du bon vin...

Quels sont tes projets pour cette toute fin d'année et 2005 ?
Je viens d'écrire une musique pour un documentaire de Nicolas Cornut et prépare mon album solo... A suivre bientôt en concert et sur disque !