6/10Heróis do Mar - Paixao

/ Critique - écrit par Filipe, le 08/03/2005
Notre verdict : 6/10 - Paixão (Fiche technique)

Tags : mar herois pedro paixao magalhaes ayres portugal

Heróis do Mar, la musique populaire, la politique, la société portugaise.

Tout commence par une rupture, celle du groupe Corpo Diplomático en septembre 1980. En mars 1981, Pedro Ayres Magalhães, Paulo Pedro Gonçalves et Carlos Maria Trindade fondent alors un nouveau groupe, qu'ils souhaitent représentatif du Portugal, autrement dit de son histoire et de sa culture. Le premier est à la basse, le second, à la guitare, et le troisième, aux claviers. António José de Almeida, le batteur du groupe Tantra, et le chanteur Rui Pregal da Cunha prennent également part au projet Heróis do Mar. Le nom du groupe n'a d'ailleurs pas été choisi au hasard puisqu'il s'agit là des trois premiers mots de l'hymne national portugais.

En août 1981, le groupe lance son tout premier single : Saudade / Brava Dança dos Heróis, suivi de près par son tout premier album : Heróis do Mar. Un brin funky, un brin disco, un brin synthétique, un brin glamour, leur musique pop s'apparente à celle de tous ces néo-romantiques, parmi lesquels se distinguent alors les Spandau Ballet, Human League et autres Duran Duran sur la scène européenne. Contrairement à l'apparence minable et débraillée que suggère le courant punk rock, ceux-là accordent une attention toute particulière à leurs tenues et leurs coiffures : les nouveaux romantiques souhaitent être reconnus en tant que tels dans les rues de Londres. Pour cette raison, qu'ils soient sur scène ou apparaissent à l'écran, les membres du groupe Heróis do Mar arborent en permanence le même uniforme, quasi-militaire. Rendant hommage à leur pays et sa glorieuse Histoire, la nature de leurs propos (associés à leur image) prête à confusion et suscite la controverse. Leur prétendu nationalisme est mal interprété par les médias. On les soupçonne de vouloir faire ressurgir un courant d'extrême droite au Portugal. Chaque fois qu'on évoque leur nom, ils sont automatiquement associés à l'ancien régime dictatorial. On interdit en outre à ces « héritiers de Salazar » de jouer au sud de la ville de Setúbal. De son côté, le groupe prétend simplement vouloir importer les préceptes d'un « showbiz civilisé », pour reprendre l'expression de son leader, Pedro Ayres Magalhães.

En marge de cette polémique, la sortie de leur single Amor se solde par une formidable réussite commerciale. Réalisé en seulement vingt-deux minutes, ce titre visait à casser leur image et aller à l'encontre de ces prétendues allégations au sujet de leur couleur politique. La même année, le groupe se voit offrir la possibilité de jouer en première partie des concerts des King Crimson et des célébrissimes Roxy Music, ce qui les conduit jusqu'à Paris. Mãe, leur deuxième album, déçoit, contrairement à leur single Paixão, qui conduit les revues anglaises The Face et Rock & Folk à les considérer à l'époque comme l'une des dix meilleures formations d'Europe. Leur troisième album, O Rapto, comprend les incontournables Supersticioso et Só Gosto de Ti. Pour la promotion de ce disque, les membres du groupe se séparent de leurs uniformes et préfèrent endosser des chemises trouées et des jeans lacérés, pour mettre fin à la polémique, une bonne fois pour toutes. Courant 1985, les boîtes de nuit s'acharnent à rediffuser leur dernier single : Alegria (entendez-y la racine d'« allégresse »).

Les membres du groupe commencent alors à s'investir dans d'autres projets, indépendants du groupe. Ainsi, Pedro Ayres Magalhães prend la tête de l'éditeur Fundação Atlântica. Lui et Carlos Maria Trindade se portent garants des arrangements et de la production de l'album Dar e Receber, de Antonio Variações. Des rumeurs annoncent le départ du groupe de Rui Pregal da Cunha. Pourtant en 1986, un séjour d'un mois à Macao (qui ne devait durer qu'une dizaine de jours) permet aux Heróis do Mar de raffermir les liens les unissant. Ils enregistrent un nouvel album, qu'ils intitulent Macau, en hommage à l'ancienne colonie portugaise. Le disque se distingue des précédents par sa simple qualité musicale, qui surpasse toutes leurs politiques d'image, les apparences qu'ils ont bien pu se donner et tout ce qui a été dit à leur sujet. Deux ans plus tard, l'enregistrement de leur tout dernier album se fait sans António José de Almeida mais avec António Garcia.

Les membres du groupe se séparent officiellement en 1990, chacun ayant opté pour d'autres projets individuels : Pedro Ayres Magalhães est devenu le leader charismatique du groupe Madredeus ; Carlos Maria Trindade l'a rejoint peu de temps après, suite au départ de Rodrigo Leão. Rui Pregal da Cunha et Paulo Pedro Gonçalves ont d'abord fondé le groupe LX-90, puis se sont rendus en Angleterre où ils sont devenus les Kick Out The Jams.

Les membres du groupe Heróis do Mar ont peu à peu pris conscience du fait qu'ils étaient bel et bien les mauvaises personnes, au mauvais endroit et au mauvais moment. Ils ont grandement souffert des conséquences de leurs aspirations, la jeune République s'étant montrée peu réceptive à cette célébration du passé, dont ces précurseurs du romantisme souhaitaient se targuer. Les nouvelles instances n'avaient d'yeux que pour l'avenir et il était hors de question de jeter le moindre coup d'oeil en arrière. Si bien que malgré le succès de ses titres pour le moins « avant-gardistes » (O Amor, Paixão, Alegria), le groupe a rarement été soutenu et sa situation financière a toujours été une source de préoccupation.

Paru en 2001 sous l'égide du groupe Universal, le disque Paixão se veut une compilation des principaux titres, qui firent la renommée du groupe. Onze ans après sa dislocation, ces quinze titres ont été extraits de leur contexte pour être présentés à une nouvelle génération d'amateurs de musique, avide de sensations nouvelles. On comprendra que cet album puisse leur paraître à la fois original et dépaysant, tant il les éloignera de leurs acquis en la matière. Il donne accès à un univers d'ambiances, qui n'existe guère plus à l'heure actuelle. On y entrevoit la naissance d'un nouveau courant, celui de la pop synthétisée, dont il est difficile de se faire une idée sans plusieurs écoutes attentives.


Leurs airs sont entraînants et leurs textes présentent un intérêt certain, puisqu'ils sont le reflet de ces craintes et de ces espoirs qui caractérisèrent les années 80. Leurs titres n'ont cependant pas échappé à cet éternel processus de « ringardisation », dont souffrent la plupart des artistes un jour où l'autre et qui n'a malheureusement pas épargné la catégorie des Nouveaux Romantiques. On est désorienté par la texture de leurs chants, toutes ces superpositions de sonorités qu'ils opèrent en continu, ainsi que par leurs textes, qu'ils osent interpréter en choeur. Cette compilation n'en demeure pas moins une excellente opportunité de faire connaissance avec ces Héros de la Mer, dont les carrières furent pour le moins agitées.

01 - Supersticioso
02 - Paixão
03 - Glória do Mundo
04 - Cachopa
05 - Pássaro Vermelho
06 - Só Gosti de Ti
07 - Tarde Demais
08 - Alegria
09 - Brava Dança dos Heróis
10 - Amor
11 - Amantes Furiosos
12 - Nunca Mais
13 - Portugal
14 - Olhar no Oriente
15 - Saudade