7.5/10Détroit, Bertrand Cantat sous de nouveaux Horizons

/ Critique - écrit par nazonfly, le 23/11/2013
Notre verdict : 7.5/10 - Cantat pas en faillite (Fiche technique)

Tags : cantat bertrand detroit horizons musique album paris

De Pascal Humbert, la moitié de Détroit, vous ne lirez presque rien dans la critique suivante. De Bertrand Cantat, beaucoup plus. Faut dire que Horizons sonne plus comme un album solo de Cantat accompagné de quelques musiciens glanés ici et là.

Bertrand Cantat est de retour, et c'est forcément un événement tant il a marqué l'histoire du rock avec son groupe Noir Désir. Tant il a aussi fait parler de lui avec la tristement célèbre affaire de Vilnius. Ce disque, tous les fans l'ont attendu avec espoir mais aussi avec une certaine anxiété. Après avoir tué sa petite amie, après avoir passé plusieurs années en prison, après avoir été lâché par son guitariste, de quelle couleur Bertrand Cantat allait-il peindre ce nouvel album ?

Avant toute chose il faudrait peut-être préciser que cet album n'est pas un album solo même si le nom de Cantat semble écrit en plus gros que celui de Pascal Humbert, ex-Passion Fodder, ex-16 Horsepower, actuellement bassiste de Wovenhand et donc dernièrement moitié de Détroit. Autre présence sur le disque, celle des membres de Shaka Ponk venus ici et là jouer de la batterie, faire des chœurs ou taper sur quelques claviers. Le décor est posé, il ne reste plus qu'à pénétrer dans ce nouveau monde.

La tentation Noir Désir

Bertrand Cantat, au passage vous l'aurez compris, il sera finalement très peu question de Pascal Humbert dans cette chronique, comme du reste dans toutes les autres chroniques qui se sont penchées sur Horizons, tant les textes et la voix de Cantat font sonner Détroit comme un projet personnel, Cantat & Co plutôt qu'Humbert et Cantat. Bertrand Cantat, donc, a derrière lui plus d'une vingtaine d'années de musique avec son groupe, il est normal que Horizons porte les atours de Noir Désir dans ce qu'il avait de meilleur. Et de plus calme. Car cet album est une longue mélopée triste, un virage déjà entamé sur Des visages des figures. Ici la musique semble souvent dépouillée, mise à nue laissant la voix de Bertrand Cantat habiter chaque morceau. Malgré une fin échevelée, en mode L'Europe, Ma muse nous plonge ainsi dans ce bain dénudé. Mais c'est avec le triptyque Ange de désolation, Horizon, Droit dans le soleil que Détroit atteint son pinacle : Ange de désolation possède de ces atmosphères pré-orageuses qui n'explosent jamais et font dresser les poils électriques sur les bras. Droit dans le soleil repose principalement sur une guitare très Brassens et la voix de Cantat, supportées par des cordes qui viennent mettre un peu de volume, et touche directement au cœur. Mais c'est Horizon qui remporte tous les suffrages de l'album : une guitare qui tourne comme un lion en cage (parallèle tellement évident sur ce titre qui évoque la prison), la voix de Cantat qui pose sa poétique voix et puis cette explosion soudaine répondant manifestement aux jugements de l'extérieur du monde carcéral. Une envolée, une échappée, la beauté tout simplement.


DR.

 

La tentation de l'autre

Mais il est clair que Denis Barthe, Jean-Paul Roy et Serge Teyssot-Gay ne sont plus de la partie : Détroit n'est pas Noir Désir et il fallait bien que ça s'entende à un moment ou à un autre. Et malheureusement ça s'entend trop, beaucoup trop. Il y a Le creux de ta main seul titre vraiment rock (comprenez, joué très vite) d'un album qui préfère la quiétude et la mélancolie, un titre dans lequel on entend le fantôme éthéré de l'énergie de Noir Désir, les couplets rappellent Noir Désir mais le refrain est là, comme idéalement placé pour nous décevoir avec son côté trop lisse. Le titre suivant, Sa majesté, a un côté groovy qu'on ne connaissait pas auparavant et dont on se serait volontiers passé : l'effort est intéressant, le résultat est dégueulasse (ah non paraît qu'on dit j'aime pas, désolé). Et puis il y a Avec le temps, reprise de Léo Ferré. Les reprises de Noir Désir, on en connus, de Ces gens-là de Brel à Aucun express de Bashung en passant par la mise en musique du poème Des armes de Léo Ferré, des reprises à fleur de peau, des reprises marquantes, touchantes. Celle-ci est juste... gênante avec cette programmation quasi-electro qui martèle inlassablement, sans cœur, sans âme.

La tentation personnelle

Mais c'est bien sûr dans les textes que l'on attendra le plus Cantat. Parce que la poésie de Cantat nous a marqué. Parce que ses prises de positions, ses coups de gueule nous ont séduit. Et parce que Vilnius. Le côté engagé n'est que peu présent sur Horizons à part peut-être sur Sa majesté et sur le titre presque éponyme, on y reviendra. Au contraire le thème qui revient le plus semble être... l'amour comme sur Le creux de ta main (« Je t'aime mais je ne te tiens pas ») ou sur Ma muse et son homéotéleute (oui je me la pète) lourdingue. Cet amour montre que Horizons est avant tout un album très personnel de Cantat. S'il fallait une preuve flagrante, c'est sur la superbe Horizon qu'on la trouverait, une évocation manifeste du monde carcéral où l'horizon soit n'existe plus, soit est encore plus loin qu'en liberté. Et puis... et puis il y a Ange de la désolation qui semble aborder l'histoire personnelle de Cantat et notamment l'affaire de Vilnius. À la fois par l'aspect voyeuriste de la presse (« dans leur panier à ordure, il y aura cinq dix versions pour engraisser les porces »), une idée reprise dans Horizon (« au dehors le spectacle abject continue ») mais aussi par une évocation presque directe de la mort de Marie Trintignant (« Dors mon ange de désolation », « L'éternité nous appartient »). Certes il aurait été tentant de chercher dans la moindre petite phrase écrite, chantée un symbole, une suggestion de ce qui s'est passé il y a 10 ans de cela mais là Cantat semble aller tellement directement au sujet, ne prenant si peu de gants que ça en est franchement gênant pour l'auditeur. Aurait-il mieux fait de s'auto-censurer ? Ne pas tenter tendre le moindre bâton pour se faire battre ? Difficile à dire, on aurait de toute façon toujours pu trouver quelque chose à redire à ses paroles. Il n'empêche que ce titre nous montre que, dorénavant, les paroles de Cantat auront toujours ce goût amer.

Un détroit est ce « passage naturel par lequel deux mers communiquent » selon le Wiktionnaire. Ce détroit-là semble clairement un passage entre la mer Noir Désir et une mer à venir dont la couleur et la forme sont encore en formation en se dépouillant lentement de ce qui faisait Noir Désir. Et ce qu'on en entrevoit pour l'instant ne nous incite pas à l'espoir.

Point fort : musicalement ? le triptyque Ange de désolation, Horizon, Droit dans le soleil

Point faible : musicalement ? l'horrible reprise de Avec le temps de Léo Ferré

En écoute, Horizon :

Détroit – Horizons

01. Ma muse
02. Glimmer in your eyes
03. Terre brûlante
04. Détroit - 1
05. Ange de désolation
06. Horizon
07. Droit dans le soleil
08. Détroit – 2
09. Le creux de ta main
10. Sa majesté
11. Null and void
12. Avec le temps
13.