9.5/10Wu-tang Clan - Enter The Wu-tang (36 chambers)

/ Critique - écrit par Levendis, le 29/10/2003
Notre verdict : 9.5/10 - Wu : bruit de la lame qui fend l'air. Tang : Bruit quand elle arrive sur la tête de l'adversaire (Fiche technique)

Axiome shaolin : Le "wu" rappelle le bruit de la lame qui fend l'air, et le "tang" celui qu'elle fait quand elle arrive sur la tête de l'adversaire

On peut dire que tout le monde connaît le WuTang Clan, même vaguement, sans avoir vraiment écouté un de leur album. Ce groupe, considéré comme chef de file d'un Hip-hop au son puissant et au flow « assassin », fait aujourd'hui partie de l'institution rap. Ses membres participent consciemment à une politique concerté de vampirisation de tout l'espace médiatique, amenant à l'arrivée une très forte présence sur la scène musicale (au moins deux albums solo par an), voire la scène audiovisuelle et cinématographique (certains sont devenu des acteurs tel Method Man, et R.Z.A., le leader, a fait la B.O. renversante du film Ghost Dog). Cette bande de fous furieux mené par un leader charismatique, créateur de sons génial et business man accompli : The R.Z.A., a en l'espace de 4 albums imposé pour la postérité un univers si particulier dans le monde sans pitié du show-business et, surtout, du Hip-hop.

Dix ans déjà : retour sur le succès du premier opus du clan

Au début des années 90, le rap explose, des groupes (Public Ennemi, NWA, Gangstarr, Run DMC...) et des rappeurs (LL Cool J, KRS One, Ice T...) se partagent dans une concurrence encore « saine » le rap biz; l'aspect musicale est surtout mis en avant et le talent de ces artistes brillent de milles feux. Cependant en cette année 1993, c'est la Westcoast qui tient le flambeau, la vague planante du G-funk et le tourbillon virulent du Gangsta-rap font des ravages ; et des artistes comme Dr Dre ainsi que les célébrissimes NWA accaparent l'attention avec des attitudes défiantes, une musique coup de poing et un discours percutant.
Pendant ce temps sur la cote Est, deux hommes dans l'ombre préparent une révolution. Leur nom : Robert Diggs, alias R.Z.A., et son cousin Gary Price, alias Genius/GZA. Les deux cousins ont durant cette période ce qu'on pourrait appeler trivialement « la rage ». En effet les deux compères sortent d'un frustrant échec lors d'un album précédent (un album de GZA, qui est passé inaperçu pour cause de mauvaise promotion). R.Z.A., introspectif, veut tout reprendre à zéro, contrôler toutes les étapes de la création à la promotion en passant par la production. Il commence ainsi a esquisser les premières idées concernant le projet « Wu », aussi les deux cousins n'oublièrent pas de rameuter quelques uns de leur connaissance (même un cousin de plus : le cinglé Ol'Dirty Bastard). Un single percutant, le doux slogan : Proteck Ya Neck, est produit dans la foulé dévoilant d'entrée qu'il faut compter sur le collectif. Le succès du morceau est si foudroyant que le crew signe quelque temps après chez Loud Records puis, fort de ce succès de prestige, sorte leur album. Fin stratège RZA négocie habilement, avec leur producteur, une liberté artistique totale pour tout les membres du collectif. Ainsi ceux qui souhaitaient faire une carrière solo ont, grâce aux négociations de RZA, pu signer dans le label de leur choix (Method Man chez Def Jam, O.D.B. chez Elektra, Raekwon chez Loud et GZA chez Geffen).

Le Wu, plus qu'un collectif rap, une Dream Team

Equipe de choc composée de rappeur exceptionnels (Meth, Inspectah, U-god), de lyricistes hors pairs (Ghostface), d'entertainers dans l'âme (RZA, GZA), et surtout armé d'une approche exceptionnelle dans la façon de recréer le « son rap », de la renouveler même, le Wu a tout du Supergroupe rap encore inégalé à ce jour. RZA, le gourou, créateur génial de la plupart des sons « Wu » et rappeur à ses heures perdus, a su canaliser la fougue de chacun ; la maîtrisant afin de sortir un premier album totalement bluffant et déstabilisant. La marque du crew ? Une Obsession pour l'univers Shaolin et la philosophie asiatique, associé à une approche très « Old school » du son à base de sample soul, rythm ‘n blues issues de l'age d'or. Là ou certains rappeur-concepteur puff daddyen aurait juste fait un copier coller sampler classique, RZA lui va plus loin et expérimente jusqu'au vertige. L'univers que l'on découvre à l'arrivée est un amalgame surprenant de mélancolie, de rage et de maîtrise zen : une vraie claque, mieux un coup de nunchaku dans les roubignolles. Cependant la musique n'est rien dans le rap sans le rappeur qui vient derrière pour la mettre en valeur, mais là ici ils sont 9, et chacun d'entre eux est une entité forte d'ou le coté redoutable de la formation au complet.

Enter in The Wutang (36 chambers) : un album labyrinthe en 3 points

La méditation...

Une première écoute de l'album déconcertera assurément le néophyte ; l'aspect minimaliste de certains morceaux et l'ambiance sombre et épurée détonnent par rapport aux habituels albums rap « rentre dedans ». Mais cependant au fil de l'écoute, on capte l'essence, sa force tranquille. Samples poussiéreux sur beats squelettiques, boucles calées de façon peu orthodoxe, instruments désaccordés, voilà la recette première du crew et des titres comme Can It Be All So Simple ou 7TH chamber par exemple illustrent précisément cette approche, sublimé par des rap « haut de gamme » des membres du Wu. C'est cette alchimie entre la musique presque fantomatique de RZA et le rap sans pareil qui fait toute la différence, et qui permet au collectif de briller encore aujourd'hui. Cette musique si introspective que l'on ressent n'est pas tout ; on peut même dire que c'est l'arbre qui cache la forêt, une forêt dense et surprenante puisqu'on constate derrière la présence d'une force, c'est l'avancée vers...

L'esprit du guerrier...

L'imagerie du combat et des arts martiaux transpirent tout au long de l'album, et nous ne pouvons pas échapper aux samples de films de kung-fu, de sabre fendant l'air savamment distillé et participant au trip d'ensemble. Au delà, la façon de rapper du crew atteint parfois des sommets de furie et l'esprit conquérant (du genre « pas de quartier ! sus à l'ennemi ») est assez perceptible. Cela peut déconcerter mais on rentre sans problème dans le trip, à en rester la bouche entrouverte d'admiration. Il est à noter que la pochette de l'album renforce encore cette idée de menace : des moines sans visage font face à l'auditeur dans une ambiance de secte et un logo en "W" à mi-chemin entre des ailes de la colombe et d'une double-hache effilée en fond. A l'écoute des titres tel Proteck Ya neck, violemment explicite ou encore le shaolinisé Da Mystery Of ChessBoxing, avec son piano monocorde et le rap déglingué d'Ol' Dirty on ressent plus rapidement et plus facilement le topo. C'est là une facette redoutable du crew mais cependant Le Wu garde un autre atout dans sa manche, très représentatif du rap...

L'art du freestyle contrôlé...

Le freestyle, cet exercice de style courant du rap dans lequel le rappeur se « lâche » complètement, est très présent tout au long de l'album, et souvent cela alterne entre des sommets egotripiens (style « je suis le plus fort ainsi que mes potes ») et des chroniques de délire verbal voire des mini-chroniques redoutables. L'exercice a un intérêt si le rappeur excelle dans sa répartie et dans sa façon de « se poser » sur le beat, mais ici quand nous avons 9 rappeurs redoutables qui s'y emploient, la chose atteint un niveau d'intensité rare. Bien des gens décernent, de façon un peu trop hâtive je dois dire, le titre de « meilleur rappeur du monde » à tout nouvel artiste qui enflammerait l'échiquier du rap cependant ils semblent avoir éliminé un peu prématurément nos 9 compères, surtout l‘un d'entre eux : le redoutable Method Man. Dans l'exercice du freestyle, ou encore du rehaussement du niveau d'un morceau rap lambda, ce rappeur reste une référence incontestable. Et justement le crew, toute en intelligence, lui laisse quartier libre sur un des morceaux le plus célèbre du collectif : le titre d'auto-promotion M-E-T-H-O-D Man (où comment je sais épeler mon nom de façon stylisé). Pour enfoncer le clou, celui-ci viendra faire le refrain légendaire du titre, non moins légendaire, C.R.E.A.M, dans lequel il assene dans une insolence criminelle : « cash rules everything around me, CREAM ! Get a money ! Dollar, dollar bill y'all ». Un refrain chanté depuis lors en choeur par tous les apprentis « gangstas » en culottes courtes.

Avec des titres de ce type, les portes de la renommée ne peuvent que leur être ouvertes, et quand bien même elles resteraient closes, je suis prêt à parier que le Wu les défoncerait à coup de pied pour renter quand même.
En définitif, un album culte, servi par des rappeurs extraordinaires, à découvrir sans tarder.

Meilleurs titres : C.R.E.A.M; M-E-T-H-O-D Man; Protect Ya Neck; Da Mystery Of ChessBoxin