The Smashing Pumpkins - Mellon Collie & the Infinite Sadness
Musique / Critique - écrit par Danorah, le 09/10/2005 (
S'il prenait à une quelconque chaîne télévisée l'envie d'établir un classement des plus grands groupes de rock des années 1990 (on peut toujours rêver...) nul doute que les Smashing Pumpkins y figureraient en bonne place. Pour peu que ladite chaîne télévisée se livre à un classement des meilleurs albums des plus grands groupes de rock des années 1990 (vous avez dit utopie ?...) Mellon Collie and the infinite sadness se trouverait probablement dans celui-ci. Ce double album s'impose comme une référence du rock, tant pour ses qualités techniques que pour sa densité et pour l'ambiance particulière qui s'en dégage.
The Smashing Pumpkins, c'est, en premier lieu, Billy Corgan. Chanteur et surtout compositeur, Corgan s'affirme comme élément fondamental du groupe : sa voix particulière, haut perchée et nasillarde, en est la griffe ; ses compositions, la clé de son succès. L'inspiration n'a pas fait défaut sur cet album puisque celui-ci se compose de pas moins de 28 titres. L'ensemble constitué se révèle homogène dans ses humeurs, plutôt sombres et torturées, un peu moins dans la qualité, variable, de chacun des titres. De fait, Mellon Collie semble avoir été perçu comme un exutoire par Billy Corgan, qui y déverse toutes ses interrogations, ses souffrances... et son génie créateur. Dès lors, on comprend aisément que le meilleur côtoie le pire (mais peut-on vraiment parler de « pire » sur Mellon Collie ?) tout au long des deux heures et quelques que dure cet album. L'impression générale est néanmoins celle d'une musique débordant d'énergie, de rage, mais aussi de désespoir ; et c'est cette fragilité qui fait tout le charme de Mellon Collie and the infinite sadness - le titre parle d'ailleurs de lui-même.
Le premier disque, Dawn to dusk, est celui qui comporte les titres les plus percutants : entre le romantico-épique Tonight, tonight, Bullet with butterfly wings (l'incontournable refrain « Despite all my rage I am still just a rat in a cage ») et le riff dévastateur de Zero, difficile de savoir où donner de la tête. De fait, chacun des 14 titres qui composent Dawn to dusk mérite d'être écouté avec attention. Outre la profusion de guitares électriques (un véritable bonheur, si l'on excepte les quelques passages où celles-ci se font trop envahissantes) on note avec plaisir une batterie maîtrisée et inventive, mais on regrettera une basse un peu en retrait, souvent noyée sous les guitares. Jusque là, rien de bien original, et pour cause : le relief de Mellon Collie repose plus sur les effets appliqués aux instrumentations que sur les instruments proprement dits. Le meilleur exemple de cet état de fait est certainement Love, dégoulinant de distorsion, pour un effet plus que saisissant. Heureusement, tout n'est pas aussi fiévreux (voire enfiévré) et les interludes permettent à l'auditeur de reprendre son souffle : plus légers et aériens que les titres principaux souvent très denses, ils témoignent de la grande versatilité du talent de Billy Corgan (l'introduction au piano, notamment, est un modèle du genre). Et si tout cela ne suffit pas, les ballades (en particulier To forgive et Muzzle) achèveront de vous convaincre grâce à des textes recherchés et dans le ton général de l'album : sombres et introspectifs.
Le second disque, Twilight to starlight, s'écoute de manière plus linéaire : les titres s'enchaînent avec fluidité et cohérence, sans être ennuyeux. On retiendra tout particulièrement le riff ra(va)geur de Where boys fear to tread, la ballade Thirty-three, le brillant 1979 au succès amplement mérité, et We only come out at night, original et bien mené. Le groupe ne se refuse pas les compositions plus longues et élaborées, qui se soldent parfois par de francs succès (Porcelina of the vast oceans sur le premier disque, Thru the eyes of ruby sur le second) mais peuvent aussi manquer de finesse et d'élégance, comme X.Y.U., dont les 7 minutes deviennent rapidement lassantes... On touche ici au point faible des Smashing Pumpkins, qui est le manque de clarté : le son apparaît parfois trop brouillon, les guitares se muent en bouillie bruyante et informe, le tout sonne de manière sourde et indistincte. Bref, lorsque les musiciens oublient la mélodie et jouent pour faire du bruit, rien ne va plus, à l'image d'un Tales of a scorched earth bien trop tonitruant et vulgaire. Heureusement, Billy Corgan sait aussi écrire des ballades élégantes et clôt joliment Mellon Collie avec quelques chansons tranquilles sympathiques, notamment le dernier titre, Farewell and goodnight (que demander de plus pour une conclusion ?), où l'on peut entendre la voix des quatre musiciens.
En définitive, Mellon Collie and the infinite sadness est l'album que tout amateur de rock se doit de connaître et de posséder. 10 ans après sa sortie, il est toujours aussi percutant, son artwork toujours aussi agréable, et loin de se démoder, il semble presque intemporel quant aux thèmes abordés et aux émotions qu'il procure. Une production un peu plus soignée en aurait certainement fait un chef d'oeuvre incommensurable. On se contentera néanmoins de ce magnifique double album, attachant malgré (ou grâce à ?) ses petits défauts, et que l'on réécoutera avec la nostalgie qui sied à l'évocation de ce passé révolu, où les Smashing Pumpkins étaient encore là, et bien là...