Dossier : les musiciens masqués

/ Dossier - écrit par nazonfly, le 02/06/2013

Tags : musique masque groupe musiciens france visage musicien

Le nouvel album des Daft Punk vient juste de sortir. L'occasion pour nous de surfer sur la vague et de proposer un dossier sur les artistes masqués.

Si l'on voulait faire l'historique du masque, il nous faudrait sans doute remonter aux origines de l'être humain : le masque peut être manifestation du divin ou, au contraire, manifestation du malin comme dans plusieurs sociétés traditionnelles, il peut servir à rassembler derrière un même faciès une communauté comme chez les Anonymous, il peut aussi souligner plus précisément un trait caractéristique d'un personnage comme dans le théâtre du Nô ou dans la Commedia Del'Arte.

Dans la musique, la fonction du masque est multiple et variée. Le masque peut ainsi être un gage d'anonymat tout en étant une façon de se singulariser : si l'homme est anonyme, l'artiste est de son côté encore plus sous les feux des projecteurs (on le voit parfaitement avec Daft Punk). Cette démarche volontaire de se démarquer peut résulter d'une démarche purement commerciale ou, au contraire, peut être le résultat d'une volonté de s'opposer au système : il n'est pas rare que ces deux aspects, a priori opposés, se mêlent avec un certain bonheur. Le masque peut aussi être un moyen de rassembler sous un même visage des personnes bien différentes. Bien sûr ces différentes catégories ne s'excluent pas mutuellement : on peut être contre le système et vouloir conserver son anonymat. Toujours est-il que nous avons découpé notre dossier en plusieurs parties :

- le masque, garantie d'anonymat

- le masque, expression de l'artiste

- le masque, une lutte contre le système

- le masque, symbole de la non-identité

- le masque, fun et grand-guignol

- le masque qui justifie n'importe quoi

Prêts ? Jetons-nous dans le dossier !

Le masque, garantie d'anonymat

Ah l'anonymat. Derrière ce terme se cachent des réalités complètement différentes : de l'artiste qui veut que sa musique passe devant sa propre personne, de l'artiste qui a besoin d'un avatar pour vaincre sa timidité ou de celui qui ne veut pas être reconnu.

Génial guitariste, Buckethead porte constamment sur scène un masque ainsi qu'un seau en carton sur sa tête (d'où son nom) pour vaincre sa timidité. C'est en tout cas ce que l'on raconte puisque son site web nous indique plutôt qu'élevé par des poulets, il a été défiguré par ceux-ci... Le voici en tout cas en train de reprendre Smooth criminal de Michael Jackson et le thème de Star Wars (bon faut aussi aimer les gens qui se branlent le manche) :

Dans la même idée, Cascadeur explique son déguisement par une « parade à la hantise d'être submergé par l'émotion au moment d'interpréter mes morceaux ». (Source) Ce masque-là sert à se cacher, se camoufler, voire sans doute à se créer une autre personnalité, peut-être plus exubérante.

Plus tôt, on pourrait citer les Pénitents de Danny Boy et ses Pénitents qui portaient des cagoules du Ku-Kux-Klan pour ne pas être reconnus, car ils étaient, assurait-on à l'époque, des fils de diplomates malgaches venus en France pour étudier. Même si l'on doute de la véracité de cette explication, il n'en reste pas moins que c'est l'anonymat qui sert de justification aux masques.

Le masque, expression de l'artiste

L'artiste qui se cache derrière son masque n'essaie-t-il pas simplement de faire une claire distinction entre ses deux vies, la vie d'un homme normal et la vie d'artiste ? Fuzati du Klub des Loosers opère ainsi une séparation entre ces deux aspects de sa personnalité, comme il le dit dans cette interview à l'ABCDR du son.

Cette schizophrénie atteint une espèce de summum chez Cascadeur pour qui son côté casqué semble être son vrai moi (Source). C'est en quittant son casque qu'il devient quelqu'un d'autre, quelqu'un qu'il a de la peine à définir.

Le masque, une lutte contre le système

Une justification souvent avancée pour expliquer l'idée du masque est l'opposition au système bien expliquée par l'un des Daft Punk au site Canoe : « Nous ne croyons pas au star-system. Nous voulons que la lumière soit sur la musique. Si nous avons à créer une image, il faut qu'elle soit artificielle. ». « C'est n'est pas un compromis. » Comme pour Gorillaz (qui n'ont pas de masques mais se planque derrière des avatars de BD), il s'agit ici de privilégier l'être au détriment du paraître, même s'il faut bien l'admettre, c'est un autre paraître qui est mis en scène (les casques de Daft Punk restent leur marque de fabrique, c'est d'ailleurs pour cela que nous avons mis en ligne cet article).

C'est ainsi que, depuis leur premier disque, les Daft Punk se cachent derrière des costumes et des masques. Et c'est aussi ainsi qu'une vidéo les montrant sans masque il y a près de vingt ans a fait bruisser la toile. Mais tout de suite le clip de Da funk avec une masque en forme de tête de chien.

La cagoule de King-Ju de Stupeflip se positionne dans la même ligne même si King-Ju, tout en se définissant en dehors du système, est assez conscient pour constater qu'il est quand même complètement dedans (Source).

Le masque, symbole de la non-identité

Rappelez-vous en 2005 le mouvement Génération Précaire dénonçait la situation des stagiaires en arborant de magnifiques masques blancs. Des masques visant à protéger les manifestants mais des masques visant aussi à symboliser ces « sans-visage » interchangeables qui passent sans laisser une quelconque empreinte. Le mouvement des Anonymous reprend la même idée avec le célèbre masque de Guy Fawkes : un seul visage, des milliers d'internautes.

Dans la musique l'on peut trouver de la même manière des collectifs d'artistes pour qui les masques sont un moyen de rester la même entité bien que les membres changent. C'est ainsi qu'en 1972 est né le groupe The Residents qui, en 40 ans, fera paraître plus de 80 albums, des pièces de théâtre, des films, des vidéos artistiques. Avec comme seuls signes distinctifs un smoking, un haut-de-forme et un masque en forme de globe oculaire qui leur permet d'être reconnus en tant que groupe plutôt qu'en tant que somme d'individus (Source) comme on peut le voir sur la vidéo suivante :

C'est sans doute une démarche similaire qui a conduit le Blue Man Group à proposer au public un seul visage, indéfinissable mais reconnaissable grâce à sa couleur bleue. Si les créateurs ne sont pas anonymes, il y aurait néanmoins, selon Wikipedia, 38 membres interchangeables qui permettent au Blue Man Group de proposer des shows dans le monde entier. Ci-dessous un extrait d'un concert en Suède en 2010 avec leurs célèbres tubes musicaux (et vous pouvez toujours relire le compte-rendu d'un concert lyonnais en 2008) :

Ici encore ces masques interchangeables, anonymes deviennent finalement le symbole de l'artiste, encore plus efficace que le Love Symbol derrière lequel Prince a autrefois tenté de se camoufler. Comme le dit Cascadeur (encore lui!) (), « je voulais échapper à l'exposition. C'est raté ! ».

Le masque, fun et grand-guignol

Une fois que l'on a vu que même le masque anonyme devenait un symbole, il ne faut plus qu'un pas pour arriver au masque que j'ai qualifié de fun et grand-guignol. Ici le masque est l'élément incontournable de la musique, ce par quoi on parlera de l'auteur.

Quoi de mieux ici que de citer les Lordi qui ont marqué l'Eurovision en 2006 ? Leur succès aurait-il été le même sans ces fameux masques ? Rien n'est moins sûr. Dans une interview, Mr Lordi décrit leurs costumes comme... « des uniformes ». Dans ce cas-là, le changement de costume est une partie intégrante de la création d'un nouvel album. Comme pour Slipknot, autre célèbre groupe masqué du metal, chaque album voit un changement des masques (Source).

Il nous faut signaler d'ailleurs qu'un autre groupe masqué américain, Mushroomhead, a accusé Slipknot d'avoir pompé leur idée de masque. Pour vous faire votre idée, deux petites vidéos avec Burn de Mushroomhead et Wait and bleed de Slipknot.

Enfin cette petite polémique à deux balles doit bien faire rigoler les ancêtres de Gwar, autre exemple de ces masques exubérants, quelque part entre un kitsch horrifique et le carton pâte de Bioman.

On le voit ici, le masque grand guignol est macabre et semble parodier l'imagerie extrême véhiculée par de nombreux groupes de metal. Comme pour les masques d'Halloween, l'humour et l'horreur ne sont jamais très éloignés.

Le masque qui permet de se cacher... sans se cacher

Parfois le masque est juste une simple pellicule qu'un artiste reconnu développe pour exprimer un propos qui n'entrerait pas dans sa ligne artistique conventionnelle. De cette façon, Pascal Obispo a créé le Captain Samouraï Flower pour que son message (sur la destruction de l'environnement) « soit mieux perçu et mieux entendu » (Source).  Ici on sait rapidement qui se cache derrière ce demi-masque et finalement le masque permet de faire parler de l'album que Obispo devait sans doute trouver trop contestataire.

S'il fallait une nouvelle preuve, elle serait éclatante avec le bien nommé Chanteur masqué. Ici on a comme le sentiment que le véritable chanteur a eu honte de sa création. Et pourtant...

Quelques autres artistes masqués

Mortiis et son beau masque de troll

Hollywood Undead qui font évoluer leurs masques sur chaque album

MF Doom dont le masque se base sur celui de Doctor Doom de chez Marvel

The Berzerker qui doivent être vraiment méchants avec ces masques et cette musique

PS : Vignette illustrant l'article sous Licence Creative Commons Paternité issue du Flickr de Taylor Liberato.