8/10CéU - CéU

/ Critique - écrit par Filipe, le 07/09/2005
Notre verdict : 8/10 - Divin (Fiche technique)

Tags : ceu music album jazz maria jungle musique

"Il est des personnalités qui lorsqu'elles apparaissent rassemblent ce qu'il y a de mieux du moment. Au travers d'un univers très personnel, elles atteignent à l'universel, fusionnent les traits d'un lieu marqué par le temps..."

D'entrée de jeu, il semble que cet album soit au carrefour de la tradition et de la modernité, et le timbre de voix si métissé de la jeune Maria do Céu Whitaker Poças participe au maintien de cette ambivalence au fil des morceaux. Qu'elle se cantonne à la samba, si chère à son coeur, ou s'aventure sur des territoires plus escarpés, tels que la soul (Lenda), l'afro-beat (Rainha) ou l'electro-jazz (Véu da noite), sa voix parvient à se jouer de ces différents registres avec une aisance rare. CéU compose elle-même ses chansons et a su s'entourer de musiciens de grand talent, parmi lesquels Beto Villares (compositeur émérite de l'Avril Brisé du réalisateur Walter Salles, et producteur de l'album Terceiro Samba du groupe Mestre Ambrósio) et Alec Haiat ("le double musical de CéU" pourrait-on dire, tant il s'est imprégné de l'univers de la chanteuse).

L'ambiguïté demeure au niveau de l'instrumentation des morceaux. Conga, atabaque, caixa, surdo, cuíca, bongo, abê, xequerê, agogo, maraca, clave, prato et reco sont autant d'instruments à percussion, pour la plupart inconnus du plus grand nombre, originaires d'Afrique ou d'ailleurs et particulièrement emblématiques des musiques sud-américaines. Quant aux instruments à cordes, on citera parmi les plus farfelus : la mandoline, qui enjolive le bouleversant Valsa pra Biu Roque, et le cavaquinho, instrument portugais à quatre cordes pincées de la famille de la guitare, qui agrémente le bouillonnant Samba na sola. Les plus exercés iront jusqu'à recenser une contrebasse sur Mais um lamento et un violon à sept cordes sur Ave cruz, le titre phare de l'album (et pour cause, puisqu'il figure sur la compil FNAC Indétendances 2005). L'utilisation répétée de guitares, basses et autres batteries, ainsi que de scratches, contribue à la modernisation de ce répertoire, dont les influences demeurent cependant très apparentes. Telle sont les "músicas que se fazem no Brasil" : une multitude d'origines et d'histoires à raconter, pour une multitude de genres et donc d'instruments, à mi-chemin entre passé et avenir.

L'amour sous toutes ses formes est au centre des attentions : le charme et la beauté (Malemôlencia), les rêves et les fantasmes (Lenda), saisir l'amour à bras le corps, défier le temps qui nous encercle (10 contados), survivre aux revers sentimentaux (Mais um lamento)... Mais CéU ne se contente pas de cette vision qu'elle a d'un monde qui n'existerait qu'au travers de relations amoureuses. Ainsi, elle n'hésite pas à s'élever contre l'agonie de l'Afrique, dévastée par les guerres, les crises, la corruption, les maladies et la fuite des cerveaux, en lui adressant un hommage pour le moins vibrant (Rainha). Elle dénonce également les illusions produites par les telenovelas : ces feuilletons quotidiens hors norme, nés il y a une quarantaine d'années, qui rassemblent des millions de téléspectateurs, s'exportent aux quatre coins du monde, ont fait le succès des chaînes brésiliennes et qui tendent à sublimer les rêves de toute une nation. Une nation où, comme dirait l'autre, "il y a plus de télés que de réfrigérateurs".

Le temps d'un hommage au grand Bob Marley, au travers de l'excellente reprise son Concrete jungle, ainsi qu'à Joao Bosco et Aldir Blanc, les deux brésiliens qui sont à l'origine du ravissant O Ronco da cuíca, et nous voici au terme d'un album pour le moins hétéroclite, qui ravira les fanas de musique brésilienne, et qui (j'en mettrais ma main à couper) plaira tout autant aux amateurs de musiques du monde.


01. Vinheta quebrante
02. Lenda
03. Malemôlencia
04. Roda
05. Rainha
06. 10 contados
07. Vinheta Dorival
08. Mais um lamento
09. Concrete jungle
10. Véu da noite
11. Valsa pra Biu Roque
12. Ave cruz
13. O Ronco da cuíca
14. Bobagem
15. Samba na sola