8.5/10The Delgados - Hate

/ Critique - écrit par Jade, le 08/08/2015
Notre verdict : 8.5/10 - Album sous stéroïdes (Fiche technique)

Tags : album delgados hate rock musique pop all

Le groupe The Delgados a été créé en 1994 et s'est dissout en 2005 avec 5 albums à son actif. Originaire d'Ecosse, où la scène musicale indépendante a la réputation d'être particulièrement dynamique, le groupe a su se faire un nom au cours de son existence, à défaut d'avoir trouvé un succès commercial suffisant. Encore aujourd'hui ceux qui connaissent les Delgados en parlent comme d'un groupe inclassable, de sorte qu'expliquer l'enthousiasme qu'il a suscité et suscite encore revient aussi à se pencher sur les raisons de leur fin de carrière. L'album Hate est l'exemple parfait des aspirations du groupe et de ses limitations.

Quatrième album de leur carrière, Hate est sorti en 2002. Il est composé de dix chansons, chantées à tour de rôle par Emma Pollock et Alun Woodward. Les deux chanteurs, au timbre très orienté pop, sont l'une des marques distinctives du groupe. Avec des voix relativement différentes, ils parviennent à créer plusieurs tissus à une même atmosphère, qui participent souvent à l'ambiance riche des albums. D'une part la voix d'Emma Pollock semble fragile, souvent au bord de la rupture complète quand elle monte dans les aigus, et d'autre part, le timbre profond et sobre de Woodward est à certains moments monotone, presque mélancolique. Ainsi, la voix humaine est ici un facteur de fragilité qui peut exprimer, selon les chansons, de la tristesse, du regret, de la nostalgie, ou enfin du désespoir.

En contre emploi des voix, l'instrumentation des chansons se veut grandiose. Le groupe n'a pas fait les choses à moitié pour Hate, qui est certainement leur album le plus ambitieux en terme d'orchestration. Des cœurs, des cuivres, des flûtes, de la harpe, un piano... Chaque chanson semble être une explosion sonore unique. Voilà en bien des manières l'essence même de ce qu'est Hate : 10 chansons chantées avec mélancolie mais instrumentées de manière grandiose. Le travail de composition considère la voix comme un instrument à part entière, et, sûr de son objectif et des moyens à mettre en place pour l'atteindre, parvient à la contre-balancer avec des instruments classiques pour créer un tout parfait. Lors d'une interview à propos de sa carrière solo après les Delgados, Emma Pollock révéle qu'elle se refuse à chanter des chansons du groupe, car celles-ci ont été modelées par chacun des ex-membres plutôt que par un seul individu. Cela colle relativement bien avec l'impression que l'on a en écoutant l'album.

Celui-ci commence avec The Light Before We Land, une des chansons les plus connues du groupe. Les instruments à corde, le rythme lent, la présence de coeurs, et les voyelles étirées par Emma Pollock lors du refrain mettent tous en exergue l'atmosphère éthérée de la chanson. Comme son titre l'indique, The Light Before We Land parle des derniers instants de vol avant un atterrissage. Que symbolise cet atterrissage ? Certains y voient la fin d'une relation, mais à vrai dire il est difficile de trancher sur le sujet en se basant uniquement sur les paroles. Les notions de temps perdu et de nostalgie d'une époque où tout avait plus de sens semblent être ici la clé. Le tempo et l'instrumentation varient tout au long de la chanson (techniques que l'on retrouvera tout au long de l'album et l'une des marques de fabrique du groupe), pour atteindre parfois des dimensions presque assourdissantes. L'harmonie lors des temps morts et des passages plus calmes ne s'en fait que mieux ressentir.

The Light Before We Land est l'un des tours de force de l'album, réussissant à maintenir une sensation d'incertitude face à l'avenir et de quiétude perdue pendant 5 minutes et demi. Des chansons comme All You Need Is Hate et Coming In From The Cold sont d'un format beaucoup plus classique et propices à une écoute moins sérieuse. Ce sont les deux titres un peu plus light de l'album. Et quand bien même, la retenue des chanteurs qui limitent les envolées lyriques au strict minimum et les thèmes abordés en font des titres tout de mêmes assez compliqués à aborder. All You Need is Hate est une pique au All You Need Is Love des Beatles, dont le rythme emporté ne saura pas cacher l'amertume des paroles. Plus discrète est la morale désabusée de Coming In From The Cold, qui parle de la solitude de ceux qui passent leur vie sans trouver la bonne personne.

D'autres chansons abordent des thèmes ouvertement liés à la mort, notamment The Drowning Years, Woke From Dreaming, ou encore Child Killers. Nous sommes avec ces deux premières chansons dans un domaine concret, loin des paroles et des ambiances musicales aériennes de The Light Before We Land, ou celles que l'on retrouvera sur les dernières pistes de l'album. C'est une atmosphère pesante, créée par des thèmes musicaux répétitifs et entêtants, et bien sûr des paroles d'une noirceur évidente, qui laisse une marque durable sur l'ensemble de l'album. Child Killers est à mettre à part, car hormis son titre, la chanson ne fait pas de référence explicite à la mort. Remarquablement bien écrite, composée avec des accents de ballade enfantine, la chanson est un exemple de retenue, et, discutablement, le plus beau moment de l'album.

Les quatre dernières chansons sont la dernière ligne droite de l'album. Leur rythme est en franche accélération par rapport à Child Killers, et c'est à partir de là que les chanteurs commencent à mener le pas sur la musique. Le résultat est frappant : même si les paroles restent relativement sombres (Favours ressemble à un poignant appel à l'aide, All Rise à un dernier examen de conscience avant la fin), c'est un retour à la vie qui s'opère à ce stade de l'album. L'instrumentation se fait aussi plus riche et dynamique. Les cuivres donnent une teinte presque festive au tout. Les deux dernières chansons sont l'occasion pour chacun des deux chanteurs de briller lors du crescendo final avec une maestria qui leur avait été refusée jusque là. Relativement calme autrement, Never Look At The Sun s'emporte lors du refrain dans lequel Emma Pollock explose de grâce, entourée de flûtes et d'instruments à vent. If This Is A Plan reprend le ton désespéré du début de l'album, mais les paroles, qui font assez explicitement référence à une relation passée et survécue, sont gorgées de termes positifs, et donnent la sensation qu'une leçon est apprise et que la page est tournée. La chanson semble conclure l'album sur une note optimiste : la quasi totalité des instruments de l'album reprennent une musique aux accents presque épiques et la voix pleine de poigne d'Alun Woodward fait oublier tous les tourments du passé.

Hate est un album à part, même dans la discographie des Delgados. Imaginé avec ambition et enregistré sans compromis, il témoigne d'une volonté presque maladive de fuir le stéréotype pop. Techniquement irréprochable, d'une poésie se voulant universelle, l'album aura pourtant eu du mal à trouver son public à sa sortie. Universal Audio, leur cinquième album sera l'ultime tentative de rectifier le tir avec plus de légéreté et d'optimisme à son centre. Mais même avec un emballage plus accessible, le fait est que la musique des Delgados est par essence ambitieuse et technique, empruntant beaucoup de thèmes et méthodes de composition directement à la musique classique et au jazz. L'on pourra se dire que c'est tout bêtement le manque de simplicité et le refus de rechercher un compromis entre qualité et accessibilité qui aura empêché ce groupe de trouver un public plus vaste. Les quatre membres du groupe ayant chacun continué leur carrière et étant aujourd'hui considérés comme des légendes de la scène indépendante, il se peut que les Delgados soit la preuve qu'avoir 4 génies dans un groupe n'est pas forcément la clé du succès.

Point Fort : Un album soigné et richement instrumentalisé

Point Faible : Les sujets des chansons sont un peu sombres et lourds pour de la pop

La critique en 140 caractères : Hate est un album ambitieux, proposant 10 chansons soignées et explosives, mais son ton négatif et complexe pourra ne pas plaire à tous.

En écoute : Coming In From The Cold

The Delgados - Hate :

01. The Light Before We Land

02. All You Need Is Hate

03. Woke From Dreaming

04. The Drowning Years

05. Coming In From The Cold

06. Child Killers

07. Favours

08. All Rise

09. Never Look At The Sun

10. If This Is A Plan